Thursday, March 28, 2024
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Libye/Kadhafi : Portrait d’une fratrie en pleine déconfiture

Au terme de vingt-neuf mois d’errance et d’exil au Niger, Saadi Kadhafi, le troisième fils de l’ancien dirigeant libyen Mouammar…

By René Naba , in Libye Portrait , at 30 mars 2014

Au terme de vingt-neuf mois d’errance et d’exil au Niger, Saadi Kadhafi, le troisième fils de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, a été extradé en Libye et s’est exprimé, depuis, dans une brève déclaration, débitée sur un ton monocorde, pour appeler à la paix civile et démentir les informations de la presse sur les mauvais traitements qu’il a subis.

I – Les aveux de Sa’adi Kadhafi

Saadi Kadhafi, accusé par la justice «de crimes visant à maintenir son père au pouvoir», a été remis à Tripoli le 6 mars par le Niger où il avait trouvé refuge en septembre 2011, peu avant la chute du régime de Mouammar al-Kadhafi après huit mois d’une révolte armée. Il est détenu à la prison «Al Hadaba» (La colline) à Tripoli.
L’ancien footballeur aux frasques mémorables a présenté ses excuses pour les troubles et les ennuis qu’il a occasionnés au pays et lancé un appel au désarmement de la population, dans un message diffusé vendredi 29 mars par la télévision libyenne. «L’Etat seul doit détenir les armes. Personne d’autres ne doit porter les armes. Je lance un appel à tous les porteurs d’armes en Libye et les invite à remettre leurs armes», a notamment déclaré Saadi Kadhafi. Evoquant une «page nouvelle avec les frères du gouvernement libyen», il a convié la population à aider le gouvernement «dans son œuvre de redressement du pays».
Evoquant son état de santé, Saadi Kadhafi a tenu les propos suivants: «Il m’est revenu que j’avais été battu et hospitalisé. Je voudrai rassurer ma famille, ma mère, mes proches et les assurer que je suis en bonne santé, la nourriture est bonne et suis sous surveillance médicale constante», a-t-il déclaré dans ce message diffusé par la télévision libyenne. Mondafrique notamment avait fait état d’informations fiables évoquant son hospitalisation dans un état comateux.
Habillé d’une chemise en tissu jeans, Saadi a précisé avoir enregistré ce message le 27 mars 2014. La date est probablement erronée. En effet, des hauts fonctionnaires libyens rencontré à Paris le 22 mars évoquaient déja l’existence de ces « aveux ». La mise en scène est grossière, rappelant des procès de sinistre mémoire dans les pays de l’Est de la belle époque. Les interrogatoires musclés subis par Saadi portaient notamment sur les avoirs qu’il avait pu dissimuler à l’étranger.
Les aveux télévisés en arabe de Sa’adi Kadhafi sur ce lien :

https://www.facebook.com/photo.php?v=619975438084630&set=vb.380750618673781&type=2&theater

II – Eclatement familial

Depuis la chute du régime et la mort du père, la famille Kadhafi a un peu éclaté!
Trois des enfants Kadhafi sont morts au combat: Seif al Arab, Khamis, et Mou’tassim
Trois sont réfugiés en Algérie: Mohamad, Hannibal, son épouse Aline, ainsi que leur sœur Aïcha qui a accouché d’une petite fille.
Saadi, réfugié au Niger en compagnie de huit autres proches de Kadhafi a été livré le 6 mars 2014 aux autorités de Tripoli, sans doute après l’épuisement du pactole de plusieurs milliards de dollars qu’il avait emporté avec lui.
Seif al-Islam, l’héritier présumé du clan, a été capturé, puis détenu en Libye, de même que le beau-frère du «guide» Senoussi.
Un câble WikiLeaks de 2006 révélait déjà que tous les enfants de Kadhafi et ses proches touchaient de gros revenus de la Compagnie nationale de pétrole et des autres filiales pétrolières, notamment le secteur gazier. D’autres fonds provenaient des activités connexes, les télécommunications, les infrastructures, le secteur hôtelier, les médias et la grande distribution.

1. Mohamad, l’ainé
Fils d’un premier mariage, il est l’artisan de l’implantation en Libye d’Alcatel via sa holding privatisée qu’il présidait Libyana Mobile Phone à la faveur d’une transaction qui lui a permis d’empocher 330 millions de dollars. Ingénieur discret, titulaire d’un doctorat en management de l’Université de Liverpool, obtenu en 2006, il présidait l’Association Méditerranéenne des Echecs. Fils unique du premier mariage de Mouammar Kadhafi avec Fatiha al Nuri, la première épouse du «Guide», tombée en disgrâce. Sa discrétion tranchait avec l’exubérance de ses frères.
Capturé lors de la chute de Tripoli, en Août 2011, il s‘est échappé pour se réfugier en Algérie en compagnie de sa sœur Aicha, de son frère Hannibal et de l’épouse de ce dernier. des archives sur les gateries faites à des personnalités étrangères ont été transportées de la Libye vers l’Algérie. Les services algériens en ont des copies.

2. Seïf Al-Islam, l’héritier
«Le glaive de l’Islam» est le premier enfant du colonel Kadhafi avec sa deuxième femme Safia Farkash, une croate. Aîné de sept enfants, il se vivait comme le prétendant au trône de cette République dynastique. Architecte peintre, playboy dilettante à ces temps perdus, il se voulait le parangon de la modernisation de la Libye. Le «Glaive» a joué un rôle clé dans le règlement de tous les contentieux, notamment ceux nés des attentats terroristes commandités par Tripoli depuis la décennie 1980.
En France, il est surtout connu pour son rôle dans la libération des infirmières bulgares, en 2007, et l’indemnisation des familles des victimes de l’attentat de Lockerbie (Ecosse) et du DC-10 de la compagnie française UTA abattu au-dessus du désert du Ténéré en 1988. Deux attentats qui constituaient l’obstacle majeur à la normalisation des relations entre la Libye, les Etats-Unis et l’Europe.
Présidant la Fondation Kadhafi, organisation caritative non gouvernementale, il déploiera des talents de négociateur au service d’une véritable diplomatie parallèle, ponctionnant l’argent des hydrocarbures pour amadouer les Occidentaux à coups de contrats d’armements. Sa politique d’ouverture a permis le retour en Libye de grandes compagnies pétrolières, l’américaine Exxon Mobil, la britannique BP et l’italienne ENI. Au fil de ces multiples «bons offices», l’héritier présumé a fait oublier l’image du playboy qui voyageait accompagné par ses deux panthères lorsqu’il était étudiant à Vienne. Après des études d’architecture à Tripoli, interdit de visa à Paris dans les années 1990, il avait en effet poursuivi des études à l’International Business School de Vienne (Autriche) où il s’était lié d’amitié avec le chef de la droite populiste Jörg Haider.
Pour les besoins de l’arrimage de la Libye à la Mondialisation, les journaux occidentaux adossés aux conglomérats de l’armement et des travaux publics ont limé la partie contondante et abrasive de son prénom pour le désigner plus sombrement du prénom de Seïf, amputant la partie essentielle de son prénom, celle qui constituait au regard de son père la phase conquérante et révolutionnaire de son programme que ce prénom induisait.
L’héritier qui se préparait à la succession aurait payé à la chanteuse Mariah Carey la somme d’un million de dollars (728.000 euros) pour qu’elle vienne lui chanter quatre de ses tubes sur l’île de Saint Barthélémy, dans la mer des Caraïbes. Soucieux toutefois de se doter d’un vernis de respectabilité, ce propriétaire d’une luxueuse résidence à Londres se donnera les moyens de décrocher un diplôme à la prestigieuse London School of Economics sur la base d’un mémoire soutenu en 2008 sur le thème «le rôle de la société civile dans le processus de démocratisation», une distinction universitaire assortie d’un don de 1,5 millions de livres sterling de sa Fondation à l’établissement londonien en vue de créer un Centre pour les Etudes de la Démocratie.
Après la mort du colonel Kadhafi, Seïf Al-Islam a pris la relève à la tête du combat du clan. Membre le plus recherché du clan depuis la mort de son père, Seif Al Islam fait l’objet d’un mandat d’arrêt d’Interpol et de la Cour pénale internationale (CPÏ). Il est actuellement détenu en Libye.

3- Saadi, le footballeur
Président du comité olympique de son pays, a connu la notoriété internationale pour avoir provoqué une fusillade mortelle dans un stade de foot à Tripoli. Membre de l’équipe de Pérouse (Italie), sa carrière internationale passe pour avoir été l’une des plus courtes de l’histoire footballistique mondiale. Jamais sélectionné dans ce club qu’il s’est fait pourtant offrir par son père, il sera condamné en 2003 pour dopage.
Actionnaire du club italien de football de «La Juventus», il a dirigé aujourd’hui une unité d’élite de l’armée dont il s’en servait pour faire pression dans des affaires commerciales, avant d’être envoyé à Benghazi, au début des troubles pour mater la rébellion. En vain. L’homme est passé à la postérité pour être «le buteur du millénaire», à la faveur d’un match commandité le 31 décembre 2000 à 23HOO pour lui permettre de marquer un but, spécialement, au passage vers le nouveau millénaire. Sa compagne dans la vie n’est autre que Vanessa Hessler, mannequin italien de la publicité Alice de la firme ADSL.

4- Mou’tassem, le militaire.
Médecin et militaire de formation, ce colonel de l’armée libyenne a présidé jusqu’en 2007 le Conseil national de sécurité, avant d’en être écarté pour abus d’alcool et tentative de putsch contre son père.
Au terme d’un exil égyptien destiné à calmer les remous familiaux que son comportement a suscités, il y sera réintégré en tant que conseiller, avec en prime un chèque de 2,8 milliards de dollars pour s’offrir sa propre unité militaire afin de ne pas faire pâle figure par rapport à ses frères Saad et Khamis. Avec Seif Al Islam, il était l’autre successeur pressenti pour poursuivre le règne du père fondateur. Tous deux furent invités et reçus comme des princes héritiers, Seif par George W. Bush à la Maison-Blanche, et Mou’tassem au département d’État, sous Barack Obama, par Hillary Clinton. Le quatrième fils de la fratrie est mort aux combat aux côtés de son père lors de leur tentative conjointe de forcer le blocus de Syrte le 20 août 2011.

5 -Hannibal, le fêtard
Celui qui s’est choisi comme pseudonyme, Hannibal, porte un nom prestigieux, associé à l’épopée de Carthage. Antépénultième des cinq descendants mâles de la famille Kadhafi, il s’est distingué par ses abus de comportement et ses excès de langage, se révélant comme la pâle copie d’une marionnette vaudevilliste, usant et abusant du comique de répétition.
Fougueux, habitué des gazettes des faits divers, il avait confondu en 2004, au terme d’une nuit chargée de bruits et de fureurs, la prestigieuse avenue parisienne des Champs Elysées avec un circuit automobile de Formule 1, démarrant en trombe à 140 heures km à l’heure. Récidiviste en 2005, il avait roué de coup sa compagne libanaise d’alors, à l’époque enceinte. En 2006, son nom a été mentionné dans un réseau de prostitution de luxe opérant à Cannes (sud de la France).
En 2008, en charge de l’intendance, il avait eu l’ingénieuse idée de commander en Suisse les montres Chopard destinées à honorer les hôtes de marque conviés à la commémoration du régime. Dans un coup de colère dont il est coutumier, il avait roué de coup des membres de son entourage suscitant son interpellation par la police suisse et une crise diplomatique subséquente entre la Suisse et la Libye. Un an et demi après son arrestation à Genève, le fils prodigue du colonel Kadhafi aurait de nouveau fait des siennes. En vacances à Londres pour Noël, Hannibal aurait provoqué l’intervention de la police après avoir roué son épouse de coups.
Dépensier et fêtard, il a fait scandale à Saint Barth, en 2009, lors d’une soirée festive en présence de Jay-z et Beyoncé. Il passe pour avoir réclamé à son géniteur la somme astronomique de 1,8 milliards de dollars (1,3 milliards d’euros) pour se constituer «sa propre milice», à l’identique à celle dont dispose ses frères. Ses vœux seront exaucés par son propre frère Khamis, qui se chargera de lui satisfaire son caprice, en lui donnant la possibilité de «commander un groupe de force spéciale qui lui sert d’unité de protection du régime».
Hannibal aura aussi égayé les vacanciers européens, deux étés durant en 2008 et en 2009, allant jusqu’à provoquer une crise diplomatique entre la Suisse et la Libye, alors que son père faisait l’objet fin Août d’une citation à comparaître devant la justice libanaise pour sa complicité dans la disparition du chef spirituel chiite libanais l’Imam Moussa Sadr. Un homme d’affaires français, Pierre Bonnard, très proche de l’ancien ministre du pétrole trouvé mort dans le Danube après la chute du régime, a joué un rôle éminent dans sa libération.
Fondant son pouvoir sur la transgression, l’alcool, le sexe et la violence, usant du charme d’un physique avantageux, Hannibal est victime de la contradiction de son père qui clame sa cesse sa volonté de révolutionner les mœurs arabes, mais qui se révèle incapable de donner une vraie éducation à ses fils, dont Hannibal est le plus démonstratif, contrairement à Seïf al-Islam, qui s’abstient des frasques au grand jour.
A chacun de ses dérapages, s’abritant derrière l’immunité diplomatique que lui confère son statut de «fils à papa» pour se doter d’une impunité, il a usé et abusé de sa position en une pathétique dérive caricaturale du pouvoir libyen qui se revendiquait comme une populocratie (gouvernement des masses) mais qui s’est révélé comme une des plus grandes supercheries politique de l’histoire arabe contemporaine

6 -Seïf Al Arab, l’amoureux de vitesse.
Ce fils Kadhafi avait eu maille à partir avec la police allemande qui lui a confisqué sa Ferrari pour excès de vitesse et conduite dangereuse. Simple officier, formé en Allemagne et proche de son père, il a été tué dès le 30 avril 2011, dans un raid de l’OTAN.

7- Khamis, le benjamin
Formé en Russie, il dirigeait une brigade spéciale chargée de la sécurité de son père, le point d’équilibre et d’interposition de la compétition inter clanique, entre Seïf Al Islam Kadhafi (le réformateur) et Mou’tassam Bilal, conseiller pour la sécurité nationale, qu’une vive rivalité pour le pouvoir a opposée dans la succession paternelle. A la tête de l’unité d’élite des forces spéciales, il était en charge de la défense de Tripoli, tenant la dernière base militaire pro-kadhafiste de la capitale jusqu’au 27 août. Il a été tué lors d‘un bombardement de l’OTAN. La télévision libyenne a confirmé sa mort le 17 octobre 2011.

8 -Aïcha, l’unique fille
La préférée du Guide était la présidente de la fondation caritative «Waatassimou», par référence aux premiers termes d’un verset du Coran qui stipule «cramponnez-vous à la croyance en Dieu et vous dispersez pas». Son activité caritative camouflait mal ses nombreuses acquisitions octroyées par son père dans «les secteurs de l’énergie et de la construction, ainsi que des intérêts financiers dans la clinique privée de St James à Tripoli.
Juriste flamboyante, elle a participé au comité, elle a participé au comité de défense de l’ancien président irakien Saddam Hussein. Diplômée de l’Université Paris V (René Descartes), elle est l’auteur d’une thèse sur le tiers monde dirigée par le professeur Edmond Jouve, intitulée «Le tiers monde face à la légalité des actes du Conseil de sécurité».
La benjamine de la famille ambitionnait un rôle de premier plan dans son pays jouant la carte de la féminité et de modernité. Portant lunettes noires et jeans, cette fausse blonde décolorée était présentée par la presse internationale au gré des rumeurs de son comportement tantôt comme la «Claudia Schiffer de la Libye», tantôt comme la lofteuse «Loana» de la téléréalité française, sans qu’il soit possible de savoir si cette extravagance constitue un atout ou un handicap dans une société majoritairement d’extraction bédouine. Aïcha a fui en direction de l’Algérie le 29 août 2011. Elle donnera naissance à une petite fille quelques heures plus tard, dans une clinique, à proximité de la frontière.

9- Hana, (douceur sereine). Elle est la fille adoptive du colonel, tuée lors du raid américain contre Tripoli en 1986.

  • René Naba est l’auteur du livre «Kadhafi, portrait total entre soulèvement populaire et intervention militaire occidentale, du fossoyeur de la cause nationale arabe au fossoyeur de son peuple». Golias Avril 2011.

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