Friday, December 13, 2024
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Pakistan, Instrumentalisation de l’Islam

Boomerang à répétition | Revue mensuelle Don Quichotte (1996) L’arrivée au pouvoir à Kaboul le 27 septembre 1996 de la…

Par : René Naba - dans : Flashbacks Pakistan Religion - le 1 décembre 1996

Boomerang à répétition | Revue mensuelle Don Quichotte (1996)

L’arrivée au pouvoir à Kaboul le 27 septembre 1996 de la frange la plus rigoriste de l’Islam radical sunnite, -les Talibans, étymologiquement «les étudiants» des Instituts coraniques- marque l’ultime étape des l’instrumentalisation de l’Islam en tant qu’arme politique.

Depuis vingt cinq ans, tous ceux qui s’y sont essayé ont connu le sort de l’apprenti sorcier. Benazir Bhutto est la deuxième en date: Principal artisan de la promotion des Talibans en Afghanistan, alors qu’elle était dans son propre pays en proie à la contestation islamique, l’ex-premier ministre pakistanais en a été aussi la victime. Poursuivie pour corruption et gabegie, Mme Bhutto, plutôt que de livrer un combat pour la démocratisation de son pays et son assainissement financier, a cru pourvoir trouver son salut dans une fuite en avant.

En propulsant les Islamistes au pouvoir à Kaboul, elle poursuivait un triple objectif: s’attirer les bonnes grâces de leurs parrains américains et saoudiens, donner à l’économie pakistanaise un accès à l’Asie centrale et conforter sa propre bourgeoisie dans la perspective du juteux marché des Républiques musulmanes voisines, en pétrole entre autres.

Mais les militaires pakistanais, véritables tuteurs du pays, désormais pris en tenaille entre les intégristes afghans et leurs confrères pakistanais, ne l’entendaient pas de cette oreille; la sanction a été immédiate. Benazir Bhutto, pour la deuxième fois de sa jeune carrière, a été destituée et placée sous résidence surveillée.

Cet effet boomerang n’est pas une nouveauté. Il a souvent joué, par exemple après l’incendie de la Mosquée Al Aqsa en 1969 par un juif intégriste australien, Michael Rosen, après l’occupation par Israël du secteur arabe de Jérusalem. Dans les deux cas, l’on a assisté à une montée en puissance de l’Islam politique.

Au début des années 1970, pour désamorcer la colère du Monde musulman indigné par l’incendie du 3me haut lieu saint de l’Islam, les monarchies pétrolières pro-occidentales, l’Iran, l’Arabie saoudite, à l’initiative des Etats-Unis, épaulées par le Roi du Maroc, ont mis sur pied une structure regroupant une cinquantaine de pays musulmans au sein de «l’Organisation de la Conférence Islamique» avec pour objectif de contenir le nationalisme arabe et faire pièce au communisme soviétique.

A coups de devises, on a stimulé le zèle des fidèles d’une communauté forte d’un milliard de croyants, faisant de l’Islam la première religion au Monde, et, noyé dans le sang l’athéisme marxiste. Durant dette période faste pour l’Islam, l’expansion du prosélytisme religieux s’est en effet accompagnée de la décapitation de la direction du parti communiste soudanais, du démantèlement du Toudeh, le parti communiste iranien, du parti communiste égyptien et du parti communiste indonésien, privant ainsi les dirigeants en place d’une opposition capable de faire contrepoids à une prévisible flambée islamiste.

L’anticommunisme à outrance a ôté aux dirigeants des pays musulmans la capacité d’orchestrer une lutte des classes, à la merci des tenants du fondamentalisme religieux.

Après le Roi Fayçal d’Arabie saoudite, assassiné en 1976 par un de ses neveux, des figures emblématiques du Monde musulman paieront de leur vie cette politique musclée: le Chah d’Iran, destitué en 1979, décédera au Caire après une morbide errance. Son hôte, le président égyptien Anouar Al Sadate sera mitraillé en 1981 et leur allié commun soudanais Gaafar Al-Nimeiry, exilé en Egypte en 1983.

La mobilisation de l’islamisme militant dans une croisade anti-soviétique allait donner crédibilité et audience aux fondamentalistes en Occident. Mais plus tard, les sanglants attentats anti-américains en Arabie saoudite, en 1995-96 mettront leurs tonitruants alliés occidentaux dans l’embarras, en même temps qu’ils provoqueront la rupture de l’alliance américano-islamiste, mise à mal par la première guerre du golfe (1990-1991).

L’étude de l’universitaire égyptien Jihad Aoudah, chercheur à l’Institut des Etudes Stratégiques, est éloquente à cet égard. L’auteur, dans son étude intitulée «le Mouvement islamiste en Egypte 1971-1994», soutient que l’Egypte et les Etats-Unis, liés par des accords de coopération en matière de sécurité, sont à l’origine de la constitution de groupes combattants égypto-afghans.

L’arrangement prévoyait que les «indésirables» égyptiens (fauteurs de troubles islamistes, repris de justice), étaient expédiés en Afghanistan où ils étaient pris en main par la CIA pour leur entraînement et leur subsistance. Les frais de voyage étaient assurés par des collectes dans les Mosquées du Caire avec les encouragements des autorités égyptiennes.

Se référant aux procès-verbaux du «Conseil Mondial Islamique pour la propagation de la foi», organisme pro-saoudien, l’auteur indique que les Islamistes ont collecté d’importantes sommes, notamment auprès des pétromonarchies du Golfe.

Le centre d’assistance islamique de Peshawar (Pakistan) disposait ainsi d’un budget annuel de douze millions de dollars qu’il ventilait entre les diverses factions combattantes. Le Docteur Joudah va jusqu’à soutenir que les principaux dirigeants égyptiens –Khaled Al-Islambouly et Aymane Al-Zawahiri, impliqués dans l’assassinat de Sadate et condamnés à mort- avaient reçu un entraînement intensif dispensé par les services américains.

Pis, l‘auteur assure que le départ en exil vers les Etats-Unis de Cheikh Omar Abdel Rahmane, chef de file des islamistes égyptiens, a été assuré en personne par le ministre de l’intérieur de l’époque M. Abdel Halim Moussa .

On croit rêver: Le ministre en charge du maintien de l’ordre dans un pays destabilisé par les intégristes musulmans facilitant le départ vers l’Amérique d’un redoutable chef islamiste, celui-là même qui, après plusieurs séjours en Afghanistan, a été mis en cause dans l’attentat du World Trade Center de New York, en 1993.

Machiavélisme ou turpitude? Quoi qu’il en soit, la certitude qui se dégage est qu’à force de diaboliser l’Islam on augmente son crédit. Et qu’à force de jouer avec le feu.

René Naba
Revue mensuelle Don Quichotte Décembre 1996

Comments


  • Ni soviétique, ni Yankés c’est le mot d’ordre des Afghans je crois. Après s’être occupé de l’Union soviétique, cette idéologie matérialiste complétement étrangère à la culture orientale, viendra le temps de se débarrasser de l’autre empire.
    Vous vous faites le chantre du marxisme : mais les différentes branches du gauchisme (communistes orthodoxes , les trotskistes, le courant libertaires, les maoistes) n’ont cesser de s’entretuer. La guerre civile d’Espagne a été le champs de bataille par exemple de ces luttes, ou ces différents courants se combattaient.Il faut rappeler qu’en union soviétique les religieux étaient persécutés.
    Aujourd’hui les choses sont troubles, certains musulmans font peut être l’objet de manipulation mais tout fini par se dévoiler. Quant aux monarchies du Golfe il est clair que pour la majorité des musulmans ce sont des faibles vous nous apprenez rien la dessus.
    je tempérais votre enthousiasme pour le nationalisme arabe : il a vu l’émergence d’Etat Nation qui à la longue
    a vu s’exacerber le sentiment national (algérien , tunisien ,libanais , syrien, egyptien) au détriment de la notion de la Oumma.

  • J’ai déjà entendu cette rengaine. Mais commencez d’abord à devenir autonome et cessez d’être la roue dentée de la stratégie américaine. Partenaire majeur de l’alliance atlantique durant la guerre froide soviéto-américaine, l’Islam et les Musulmans sont désormais promis au rôle d’épouvantail dans la production intellectuelle occidentale et les pays musulmans les grands perdants de la coopération islamo-occidentale. La Turquie demeure au ban de l’Europe et pas la moindre parcelle de la Palestine restituée aux Palestiniens.
    Tant les Américains que les Européens redoutent l’émergence d’un mouvement arabe non religieux en ce qu’il est porteur de la dénonciation de la duplicité occidentale et de son du discours disjonctif. Repoussoir au modèle démocratique, l’islam atlantiste est pourvoyeur d’une rente sécuritaire pour les dynasties régnantes, d’autant plus efficacement que l’interventionnisme occidental a discrédité l’idée de démocratie.
    Le combat contre l’obscurantisme islamiste, thématique majeure de la Story telling occidentale, a pour fonction essentielle de faire de l’Islam et des Musulmans un repoussoir aux yeux de l’opinion occidentale. Au point que l’Islam dans ses diverses déclinaisons, particulièrement l’islamisme, constitue désormais un élément central de la géostratégie occidentale, la thématique majeure de la polémologie contemporaine. Le «péril vert» se substitue ainsi au «péril rouge» dans l’imaginaire de l’hémisphère nord dans l’attente de la promotion du «péril jaune» dans la fantasmagorie occidentale.

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