Thursday, December 12, 2024
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Liban : Les révélations nauséabondes sur la classe politique libanaise (2/2)

Le rôle des congrégations maronites libanaises dans la guerre civile. Une congrégation religieuse désigne au sens premier une association d’hommes…

Par : René Naba - dans : Actualités International Liban - le 2 mai 2022

Le rôle des congrégations maronites libanaises dans la guerre civile.

Une congrégation religieuse désigne au sens premier une association d’hommes ou de femmes catholiques unis par le désir de vivre ensemble la «sequela christi» (à la suite du Christ’) et dont l’engagement personnel et communautaire est formalisé par des vœux simples de pauvreté, de chasteté, et d’obéissance. Il s’agit d’une forme particulière de vie consacrée, reconnue par le code de droit canonique de 1917.

A en juger par leur comportement belliciste durant la guerre du Liban (1975-1990), les congrégations maronites libanaises ne paraissent pas s’être conformées à cette définition. A dire vrai, ils n’en avaient cure, à en croire le témoignage du parlementaire libanais Élie Ferzli dans ses mémoires.
«Les congrégations maronites libanaises ont assumé un rôle considérable destructeur et subversif sur le plan politique et militaire lors de la guerre civile libanaise (1975-1990), par leur soutien aux milices chrétiennes qui collaboraient avec Israël et le Père Charbel Kassis, supérieur de l’Ordre des Moines libanais, visait comme objectif la partition du Liban, affirme-t-il sans ambages.

Le Père Charbel Kassis
Mieux, M. Ferzli assure que le Père Charbel Kassis, véritable va t-en guerre, se trouvait en Israël, le jour du déclenchement de la 2me guerre civile en avril 1975.

Pour justifier son engagement belliciste, le père Charbel Kassis, déployant une carte du Liban devant M. Ferzli, interpellera l‘auteur des mémoires en ces termes: «Que font les chrétiens de Jezzine (sud Liban) là-bas? Ils ne peuvent plus assurer leur pain quotidien. Il leur incombe de rejoindre leur zone (à Achrafieh, le fief chrétien de Beyrouth-Est).

«Charbel Kassis et les collaborateurs d’Israël au sein des milices chrétiennes étaient partisans de la partition du Liban. Mais la partition du Liban a été remplacée par un projet plus vaste «le plan de domination des Chrétiens maronites sur le Liban dans son ensemble», prévue dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban par le général Ariel Sharon.

Dans le même ordre d’idées, les visites de druzes et de chrétiens en Israël sous prétexte religieux relève de la stratégie de normalisation entre le Liban et l’état hébreu, y compris la visite du Patriarche maronite Béchara Ar Rahi, décidée, selon toute vraisemblance sur suggestion de l’administration américaine.

Mgr André Haddad
Mais le clergé maronite n’a pas eu le monopole des pulsions belliqueuses. La communauté grecque catholique a eu à déplorer une brebis galeuse de taille, en la personne de Mgr André Haddad, Archevêque de la ville, associé du chef du 2eme Bureau de l’armée libanaise, Jules Boustany, dans l’enrôlement de jeunes miliciens chrétiens et dont le siège épiscopal fera l’objet d’un attentat alors qu’il accueillait un des chefs de guerre des milices chrétiennes, Elie Hobéika.

Elie Hobéika
Ce haut gradé des milices phalangiste, au parcours erratique, est considéré comme le principal responsable du massacre des camps de réfugiés palestiniens de Sabra Chatila, septembre 1982.
Peu avant sa mort, il s’était retourné contre Israël et entendait témoigner contre Ariel Sharon dans le procès intenté contre celui-ci en Belgique pour crime contre l’humanité. Il aurait voulu mettre en cause des unités commando de Tsahal (les Sayeret Matkal) qui auraient œuvré sans uniforme dans le déroulement du massacre.
En mai 1985, Hobeika est nommé commandant en chef des Forces Libanaises, une milice chrétienne, à la place de Samir Geagea, mais il est démis de ses fonctions en 1986.
Rallié à la Syrie, dans un retournement dont il avait le secret, Hobéika s’est employé à aménager sa plateforme opérationnelle dans la plaine de la Bekaa’a, à proximité du Quartier général syrien.

«Le tandem Hraoui-Hariri évincera de son poste M. Georges Ephrem, en 1983, à la suite de son attribution à d’un projet de réhabilitation des installations d’électricité du Liban à une firme italienne, le remplaçant par Elie Hobeika» explique ainsi Elie Ferzli l’entrée au gouvernement de ce chef milicien
«Criminel de guerre mains néanmoins bénéficiaire d’une double protection de la Syrie et de Rafic Hariri, le séjour d’Elie Hobeika à Zahlé était dangereux en ce que ce chef milicien voulait transformer le chef-lieu de la Bekaa en base chrétienne pour sa milice», écrit M. Ferzli

Le rôle des Services de renseignements de l’armée: Jules Boustany, Fondateur du Tanzim, groupuscule ultra violent d‘extrême droite.

Jules Boustany, chef du 2eme bureau de l’armée libanaise durant la mandature du président Souleymane Frangieh (1070-1976), a assumé un rôle subversif par excellence.

Fondateur du «Tanzim» groupuscule ultra violent dirigé par Georges Adwane et Fawzi Mahfouz (Abou Roy), l’officier libanais a initié l’entraînement des jeunes libanais chrétiens au maniement des armes plusieurs années avant le début de la guerre civile. Son instrument privilégié aura été le Tanzim (l’organisation), fondé à Zahlé, en 1974, un an avant le début de la guerre civile. Jules Boustany, selon ses propres dires, a veillé à enrôler au sein de cette organisation des «jeunes aux mains propres pour des tâches dégoûtantes», selon les propos rapportés par Élie Ferzli.

L’association Jules Boustany-Mgr André Haddad et «Les camps de la virilité»

Jules Boustany s’est associé à Mgr André Haddad pour édifier des «camps de la virilité» sur le modèle des «camps de la jeunesse» nazis, transformant le couvent de Saint Sauveur, dans la région montagneuse du Chouf, comme arsenal guerrier, pour le stockage des armes et des munitions.
B- L’assassinat de Maarouf Saad, le député nassérien de Saida.
Au-delà de ce rôle subversif, les services de renseignements libanais de connivence avec les services de renseignements jordaniens ont été les artisans de l’assassinat de Maarouf Saad, député sunnite de Saida, très populaire dans ce fief nassérien du chef-lieu du sud Liban, dont la liquidation a servi de déclic au mouvement de protestation qui débouchera sur la 2me guerre civile libanaise.

Le rôle des Israéliens dans la restauration du pouvoir des chefs féodaux traditionnels.

Ferzli: «L’objectif des Israéliens, lors de leur invasion du Liban en 1982, était la restauration du leadership féodal traditionnel. Ainsi à Tyr, la famille de Kazem Al Khalil, ancien notable chiite du sud Liban et allié du dirigeant maronite Camille Chamoun et surtout du chah d‘Iran, a été intronisé interlocuteur principal des israéliens dans le secteur.

L’intermédiaire principal de la population libanaise auprès des forces d’occupation israéliennes».

Le fils de Kazem Al Khalil avait été, il est vrai, ambassadeur du Liban auprès du chah d’Iran jusqu’à la chute du souverain en 1979, et, à ce titre, chargé de veiller aux livraisons d’armes iraniennes aux milices chrétiennes. Pour mémoire la famille Kazem Al Khalil est apparentée par alliance à Ahmad Chalabi, ancien banquier irakien en faillite, qui fit office de lièvre de l’invasion américaine de l’Irak.

Dans la Bekaa, autre zone de déploiement démographique chiite, «les maires et notables devaient faire acte d’allégeance aux envahisseurs, alors que toute cette zone était, depuis 1975, date du début de la guerre civile, sous l’autorité de la coalition palestino progressiste. Les notables traditionnels ont été intronisés représentants exclusifs de la population auprès des forces d’occupation et les habitants de la zone évitaient désormais de s’adresser à leurs interlocuteurs habituels au sein de la coalition palestino progressiste», poursuit M. Ferzli.

Bachir Gémayel et sa piètre maîtrise de l’anglais.

De notoriété publique, Bachir Gémayel était un piètre intellectuel, davantage porté sur l‘action que sur la réflexion, de surcroit ne maitrisant pas l‘anglais.
A sa réception d’une lettre du Président Ronald Reagan, Bachir Gemayel saute de joie et convoque aussitôt son équipe de conseillers en charge des relations avec les États Unis.
L’équipe, dirigée par Charles Malek, ancien ministre des Affaires étrangères lors du débarquement américain au Liban au terme de la première guerre civile en 1958, a été chargée de rédiger un projet de réponse.

Mais quelle ne fut la stupéfaction des participants lorsqu’ils se rendirent compte que M. Malek, pourtant ancien Recteur de l’Université américaine de Beyrouth, n’était pas capable de rédiger une lettre en anglais.

M. Malek proposa alors de recourir aux services de son «speach writer» habituel, Cecil Hourani, un universitaire anglais d’origine libanaise et frère d’Albert Hourani, le célèbre historien orientaliste anglophone, enseignant à St Anthony’s College, puis à l’Université américaine de Beyrouth et à l’Université de Chicago enfin à Oxford, par ailleurs auteur d’un remarquable ouvrage sur «l’Histoire des Peuples Arabes».

Économiste, Cecil Hourani a été le conseiller économique d’Habib Bourguiba à l’époque où le président tunisien préconisait la «politique des étapes» dans la recherche d’un règlement au conflit israélo-arabe. Mais contrairement à son frère, Cecil Hourani témoignait une vive admiration pour le commandant Saad Haddad, l’officier dissident libanais fondateur de l’Armée du Sud Liban (ASL), qui faisait office de garde chiourmes des Israéliens dans la zone frontalière libano israélienne, lors de la guerre civile libanaise.

Épilogue

Cruelle ironie du sort: La sépulture de l’artisan de l’asservissement du Liban au capitalisme sauvage wahhabite et à l’imperium israélo-américain trône Place des Martyrs à Beyrouth, alors que le milliardaire saoudo américain aura été une victime latérale du discours disjonctif occidental.

Le choix de cet emplacement n’est pas anodin. La place des Martyrs est en effet la place centrale de Beyrouth, la ligne de démarcation en même temps que le lieu de jonction entre Beyrouth est (Chrétien) et Beyrouth Ouest (Foyer de la contestation arabe, sous l’autorité de la coalition palestino-progressiste) durant la guerre civile libanaise. Elle porte ce nom en souvenir des nationalistes arabes du Liban-aussi bien chrétiens que musulmans- pendus par les Ottomans le 6 Mai 1916. La statue de bronze qui occupe le centre de la place rappelle aussi cet événement.

Cet étalage au sein d’une place hautement symbolique a retenti comme une insulte au combat héroïque du peuple libanais face aux invasions répétitives israéliennes; une insulte à la mémoire des martyrs libanais- chrétiens et musulmans- qui bravèrent les Ottomans au péril de leur vie en exigeant l’indépendance du Liban. Une prime au charlatanisme politique libanais.

Devant les graves dérives du clergé maronite le Pape François a adressé une sérieuse admonestation à ses ouailles égarées, enjoignant au patriarcat maronite de prendre langue avec le Hezbollah libanais, «élément constitutif du tissu libanais» et cesser de quémander l’aide des pays occidentaux pour vaincre leurs adversaires libanais.

Pour aller plus loin sur ce thème: «Le Vatican à Bkreké (siège du partriarcat maronite): Dialoguez avec le Hezbollah» Al Akhbar 22 mars 2022.

Sur la connivence entre Israël et les milices chrétiennes libanaises, notamment dans le massacre des camps palestiniens de Sabra Chatila, cf ces liens

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Crédits : AP