Wednesday, October 16, 2024
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Les paradoxes de la classe politique libanaise

Il peut paraître paradoxal que le président Emile Lahoud, bâtisseur de la nouvelle armée libanaise, gage de l’indépendance nationale, et…

Par : René Naba - dans : Liban - le 17 septembre 2004

Il peut paraître paradoxal que le président Emile Lahoud, bâtisseur de la nouvelle armée libanaise, gage de l’indépendance nationale, et artisan de la libération du sud-Liban, soit présenté comme un féal, adversaire de la souveraineté libanaise.

Tout aussi paradoxal que ce chef militaire chrétien aux attaches nationalistes avérées fasse l’objet, dès la première consultation suivant son accession à la magistrature suprême, en l’an 2000, d’un vote protestataire au Mont-Liban au sein de son propre camp alors que la présence à la tête de l’état de cet homme d’autorité est de nature à conforter une communauté chrétienne libanaise encore sous le traumatisme de l’auto-décapitation de ses chefs charismatiques.

Non moins paradoxal que le promoteur de l’entente nationale, -(l’office de requiem célébré à Jounieh, en plein fief maronite, en avril 1999, à la mémoire des victimes musulmanes du raid israélien de Cana, en témoigne) fasse l’objet d’un vote de défiance à Beyrouth sur la base d’une campagne électorale à connotation communautariste, à tonalité démagogique, à visées hégémoniques, tel que cela fut le cas à l’occasion de la consultation electorale de juin 2000.

Le président Emile Lahoud a souffert d’un déficit de communication dont pâtit son bilan en terme de valorisation, alors qu’il s’est appliqué durant son premier mandat à solder les séquelles de la guerre, à solder le passif de ses prédécesseurs, ses nouveaux contestaires, les vainqueurs antinomiques d’un scrutin paradoxal. Il ne mérite toutefois pas cet excès d’indignité. De grâce ne tirons pas sur lui, il a dans les bras les enfants des autres.

Son élection sous parrainage syrien ne saurait souffrir un procès en légitimité, pas plus que ne l’a été celle d’Emile Eddé sous le mandat français, de Camille Chamoun sous le patronage britannique, du général Fouad Chéhab à l’ombre des marines américains fraîchement débarqués en 1958 au terme de la première guerre civile inter-libanaise, ou encore de Charles Hélou, avec la bénediction du Vatican, ou des deux frères Gemayel, Bachir et Amine, élus, dans une caserne militaire, en 1982, littéralement sous la protection des blindés israéliens. Le Liban, ce petit pays en sursaut et en sursis, est tributaire de son histoire et de sa géographie.

Arrivé au pouvoir au terme de 14 ans de violence intestine surchargée par une gestion erratique du tandem du premier mandat de la deuxième République libanais, son devoir lui commandait d’assumer, sans rechigner, l’héritage.

«Avec les moyens du bord», c’est à dire -et c’est là le legs le plus précieux de ses flamboyants et tonitruants détracteurs-, une trésorerie affligée d’une dette publique de vingt milliards de dollars (passée à 38 milliards à la fin de sexennat), une administration pléthorique et sclérosée, un dispositif médiatique obsolète, un pays exsangue, avec, en contrepoint, une armée modernisée et réconciliée avec elle-même, secondée par des services annexes au zèle anachroniquement intempestif, inopérant, maladroit et, à ce titre, répréhensible.

Cela sera le principal grief à son encontre, ainsi que le népotisme dont il a fait preuve dans la gestion de l’ordre interne, de même que la pause imprimée à sa lutte contre la corruption, engagée avec enthousiasme au début de son mandat et brutalement interrompue.

Chef de l’état, il est responsable et comptable de cette dérive, de même celle affligeante de la part prépondérante prise par son entourage para-familial dans la gestion de l’ordre interne, qui s’est confondue parfois avec un réglement de compte familial.

En rupture avec les usages de la classe politique traditionnelle, il a, pour le service de son pays, privilégié la compétence et distingué, non des caudataires et des thuriféraires, mais des interlocuteurs à son image, le premier ministre Sélim el-Hoss, un homme sans charisme, sans force de frappe cathodique, sans trésor de guerre, mais de grande intégrité, qualité minimale pour mener de front la bataille de la réhabilitation du Liban, non seulement urbaine de la capitale, mais morale et diplomatique du pays, pour mener de pair la lutte contre la corruption et la restauration de l’intégrité territoriale, prélude à la restauration de la souveraineté pleine et entière du Liban.

L’élimination, par la voie du suffrage, de la scène politique libanaise de M.Sélim El-Hoss et la prise de distance du député contestataire Najah Wakim, deux forts symboles de la lutte anti-corruption, ont porté en germe la marque d’un dépérissement de la vie démocratique au Liban.

Qu’elle ait résulté de l’alliance du dirigeant d’un des rares partis du monde arabe se réclamant du socialisme, M.Walid Joumblatt, avec un parfait représentant du pancapitalisme pétromonarchique pro-américain, M.Rafic Hariri, pose le problème de la crédibilité des politiciens libanais et de la cohérence de leurs options politiques.
Que le combat contre l’arbitraire ait été mené par un homme qui s’est longtemps vécu abusivement comme le président effectif du Liban, à tout le moins pendant les six ans de sa précédente mandature gubernatoriale (1992-98), participe d’un devoiement de la pensée, d’un travestissement de la raison.

Principal latifundaire du pays, propriétaire de près du cinquième de la superficie d’un minuscule état de 10.000 km2, par ailleurs propriétaire d’un empire médiatique surpassant l’ensemble du parc libanais, disposant de surcroît d’une fortune personnelle supérieure au produit national brut, monopolisant en outre l’expression politique de l’Islam sunnite libanais, Rafic Hariri est d’un calibrage conforme aux spécifications de ses mentors, son parrain saoudien et le protecteur américain de la pétromonarchie.

Dans un pays désarticulé et segmenté en une multitude de communautés religieuses, son «surdimensionnement» parait inadaptée aux structures libanaises. A défaut de contrepoids, faute de balises, ce vizir qui se rêve à la place du grand vizir, électron libre aux effets centrifuges, peut apparaître comme un facteur de déséquilibre, un instrument de déstabilisation pour le Liban et son voisinage immédiat.

Au mépris des enjeux, la compétition politique libanaise a ainsi parfois pris la forme d’une mascarade, présentée comme un réveil du nationalisme libanais contre la tutelle syrienne, que, paradoxalement, nul ténor politique n’a osé ouvertement contester jusqu’à l’invasion américaine de l’Irak, en mars 2003, tant le pays voisin apparaît parfois comme le meilleur garde-fou des dérives libanaises et des appétits politiques des anciens belligérants si prompts à tous les emballements.

Le choix gouvernemental du président Lahoud a résulté d’un libre choix.

Véritable vainqueur moral de la guerre du Liban par sa gestion transcontinentale de sa relation stratégique avec le Hezbollah, le fer de lance du dégagement israélien du sud-Liban, le président Lahoud a propulsé son pays à la fonction de curseur diplomatique régional, et dans l’histoire du conflit israélo-arabe, le standard libanais au rang de valeur d’exemple, tant cet exploit a revêtu dans la mémoire collective arabe un impact psychologique d’une importance comparable à la destruction de la ligne Bar-Lev, lors du franchissement du Canal de Suez, lors de la guerre d’octobre 1973.

Au regard de cet exploit singulier dans l’histoire peu glorieuse du monde arabe contemporain, une levée de bouclier d’une classe politique archaique, reformatée dans la féodalité moderniste apparaît comme une vaguelette, non une déferlante, mais la résultante d’un torrent opportunisme qui s’est manifesté par le recours à une thématique qui a fait vibrer la fibre communautaire dans une zone en proie à l’intégrisme, dans un pays qui en a si grandement pâti dans le passé, en proie à la désespérance d’une population en voie de paupérisation croissante, en proie à l’amnésie des victimes des anciennes turpitudes, en proie à la mauvaise humeur débridée d’une jeunesse en révolte contre toute forme de tutelle, à l’indigence intellectuelle et morale d’une fraction de l’élite, au nanisme des géants de la politique libanaise coalisés au sein d’une alliance contre nature des anciens «seigneurs de la guerre» et de leur principal bailleur de fonds.

La France, partenaire historique du Liban, se serait honorée d’honorer le seul dirigeant libanais de premier plan à ne pas avoir les mains souillés du sang de la guerre civile, celui qui s’est refusé à instrumentaliser l’armée pour la répression de manifestations civiles, comme sous le précédent gouvernement. Elle se serait honorée d’honorer M.Sélim El-Hoss, un homme qui s’est dressé contre la peine capitale dans un pays transformé depuis longtemps en un gigantesque cimetière.

L’un et l’autre ont été curieusement frappés d’un ostracisme subliminal, alors que leur comportement ne souffrait du moindre manquement à l’égard de la France. Ces deux personnalités ne participent pas, il est vrai, d’un cosmopolitisme de bon aloi.

Tout au long de cette séquence, Paris, vue de Beyrouth, a été au mieux perçue comme un fief de Rafic Hariri, au pire comme un repaire de nostalgiques animés d’une sorte de «complexe des exilés de Coblence» (du nom de ces monarchistes français inconsolables de la perte de leur Royaume qui ont préféré rallier les ennemis de la France pour vaincre la République), sans projection sur les nouvelles élites du Proche-Orient, induisant un micro-climat permanent d’hostilité, une friture permanente dans les communications entre les deux capitales, sur fond de diatribes contre la présence syrienne au Liban.

Souhaitable ou non, subie ou tolerée, modulable certainement, -le précédent israélien est présent dans les mémoires-, la présence syrienne au Liban, trève d’hypocrisie, demeure tributaire pour une large part des rebondissements du conflit israélo-arabe, en particulier du contentieux du Golan et de l’équation palestinienne au Liban.

La France ne l’ignore pas qui a multiplié les gestes à l’égard d’un pays longtemps traité avec condescendance, la Syrie, qui demeure un des rares points d’ancrage de la France au Moyen-orient, après sa brutale éviction de l’Irak.
Ostracisé sans raison, le pouvoir libanais s’y adosse, il n’est donc pas blâmable, tant sont grandes les craintes que fait peser à la stabilité du pays la présence de plusieurs milliers de Palestiniens en armes dans les camps de réfugiés, tant sont grands les risques que fait peser à l’équilibre démographique du Liban l’enracinement de trois cent mille palestiniens, tant est périlleuse pour la survie et la dignité du Liban, la requête américaine d’un désarmement du Hezbollah.

D’autres dirigeants libanais avaient souscrit à un arrangement matérialisé par une transaction avantageuse d’une vingtaine de milliards de dollars qui aurait permis d’éponger le déficit du trésor et de lancer des dépenses somptuaires à dividende politique. Le président Lahoud s’y oppose pour des raisons qu’il juge liées à la survie de son pays.

Les remous politiques suscités à la faveur de l’échéance présidentielle de 2004 visent-t-ils à infléchir la position officielle libanaise sur la question palestinienne, à gommer le prestige qu’il a récolté de son habile gestion du dossier du sud-liban, à vaincre la résistance des «états parias» du Moyen-Orient, la Syrie et l’Iran, les anciens alliés de la guerre Irak-Iran (1979-1989) vainqueurs a posteriori d’un Saddam Hussein destitué par ses anciens protecteurs américano-saoudiens.

Perçus désormais par l’opinion publique arabo-musulmane comme leur «cordon sanitaire» face à une soumission généralisée au nouvel ordre israélo-américain, le quatuor (Iran, Syrie, Liban, Hezbollah) constitue, selon l’expression du président iranien Khatémi, la constellation des «Douwal Al-Moumanaha» (les états de l’immunisation contre le virus de la soumission), dont la signification stratégique en français équivaudrait à un réseau de pré-alerte, le systètme d’interception avancée des menées israélo-américaines dans la zone.

En menant une campagne sans relache contre l’armement nucléaire de l’Iran, en rompant son arrangement tacite conclu il y a vingt ans avec la Syrie, l’Amérique a-t-elle voulu faire pression sur Damas et Téhéran pour limiter ses dégats dans le bourbier irakien?

Telle est la problématique libanaise au lendemain du vote de la résolution 1599 du conseil de sécurité de l’ONU, consécutive à la prorogation du mandat du président Lahoud.

-Mandat présidentiel: Au vu de l’expérience constitutionnelle vécue par le Liban treize ans après la naissance de la IIeme République libanaise, sur la base des accords de Taef (Arabie saoudite-1989), il ressort que le système politique libanais souffre de défectuosités, dans la mesure où il permet à un Premier ministre –pour peu qu’il soit un peu fortuné et animé de projets à connotation électoraliste– de se maintenir indéfiniment au pouvoir, alors que son contrepoids, le Président de la République, doit recourir pour ce faire au lourd mécanisme de la réforme constitutionnelle.

Depuis 1990, M.Hariri a assuré la direction du gouvernement du pays pendant dix ans, en toute légalité, une durée équivalente à une pleine mandature présidentielle, prorogée de quatre ans, durée plus importante que les deux mandats prorogés des deux présidents Elias Hraoui (9 ans) et Emile Lahoud.

Pour restaurer son crédit, intact sur le plan de la politique étrangère mais quelque peu écorné par ses variations internes, le président reconduit se devra de poursuivire son oeuvre d’assainissement de la vie politique libanaise interrompue au terme des deux premières années de son mandat, en tentant de contenir la corruption et de procéder à un réequilibrage des rapports avec la Syrie, tant il est vrai que le partenariat stratégique avec le pays voisin, nécessaire pour le présent et pour le futur, n’implique pas pour autant l’affermage du Liban, au plan économique, ni sa sujétion politique.

Un tel délicat travail de réequilibrage ne peut être que l’oeuvre d’un président doté d’un patriotisme et d’un état de service hors de tout soupçon. C’est le cas de M. Lahoud.

A terme, la solution d’avenir résiderait dans la constitution d’une Fédération des Etats Arabes, à l’image de l’Amérique que les dirigeants arabes chérissent tant, le meilleur remède à la balkanisation et à la communautarisation croissante des pays de la zone, à l’effet non seulement de purger le virus confessionnel et de dépasser la stérile dialectique du rapport du couple syro-libanais par une construction plus ambitieuse.

-Le Hezbollah: Principale formation politico-militaire libanaise, qualifiée jadis par le premier ministre socialiste français Lionel Jospin de «terrorriste» et dont le démantèlement est réclamé les Etats-Unis, le Hezbollah dispose d’une représentation parlementaire sans commune mesure avec l’importance numérique de la communauté chiite, sans commune mesure avec sa contribution à la libération du territoire national, sans commune mesure avec son prestige régional, sans commune mesure avec l’adhésion populaire dont il jouit sans chercher à en tirer avantage.

Tant au niveau de la démocratie numérique que de la démocratie patriotique, la place qu’occupe le Hezbollah dans la conscience nationale est la place de choix. Dans les querelles byzantines dont les Libanais sont tant friands, il était salutaire que cette vérité d’évidence soit rappelée et que nul ne songe à usurper la place qui n’est pas la sienne.

La France: En soixante ans de partenariat diplomatique au sein des Nations-Unies, jamais la France n’a co-parrainé avec les Etats-Unis une résolution sur le Moyen-Orient. En relayant au sein de l’Union Européenne les thèses américaines sur le nucléaire iranien, en s’associant à la résolution américaine de l’ONU, a-t-elle voulu ainsi donner des gages à son allié américain, au risque de se placer en porte à faux avec le noyau dur du monde arabo-islamique, ses interlocuteurs potentiels?

En donnant sa caution à l’Amérique, la France a donné du crédit à la démarche et aux visées d’un pays honni du monde arabe et alimenté les accusations de sa duplicité, participant à la traque de Oussama Ben Laden, le chef d’Al-Qaida, en Afghanistan, mais s’opposant aux Etats-Unis à propos de l’Irak, co-parrainant avec cette même Amérique une résolution du Conseil de l’ONU sur le Liban et la Syrie, mais passant sous silence le fonctionnement de la démocratie d’apartheid d’Israel.

Sauf à vouloir accréditer l’idée d’une connivence avec sa clientèle politique traditionnelle au Liban, la France se serait honorée si elle avait fait preuve de la même fermeté à l’égard d’Israël, en le soumettant au même traitement, une résolution comminatoire assortie d’une injonction analogue pour faire cesser l’arbitaire israélien contre les Palestiniens.

De mémoire d’homme, nul ne se souvient d’une injonction à Israel assortie d’un délai d’un mois pour mettre un terme à la judaisation rampante de Jerusalem, à la colonisation galopante de la Palestine, aux assassinats extra-judiciaires des dirigeants palestiniens, à l’incarcération de leur chef légitime, Yasser Arafat, confiné depuis quatre ans dans son quartier général de Ramallah (Cisjordanie), aux incarcérations abusives, à la spoliation et à la dispersion du peuple palestinien, dont la tragédie se repercute négativement sur l’équilibre libanais.

La relation d’affaires entre le premier rministre libanais et les entreprises françaises, son amitié au plus haut sommet de l’état français, la privatisation des rapports d’etat au bénéfice de deux hommes, pose, d’une manière sous jacente, la question du bien fondé da la démarche diplomatique française à l’ONU.

La prorogation du mandat de M.Elias Hraoui, en 1995, un homme d’une plus grande docilité face à M.Hariri, n’avait pas donné lieu à une telle frénésie juridico-diplomatique.

Au total, depuis sa réélection en mai 2002, Jacques Chirac aura reçu une quarantaine de fois M.Hariri, soit une rencontre toutes les six semaines en moyenne, une fréquence de loin plus importante que celle que le Président français entretient avec aucun autre dirigeant arabe, européen ou occidental, une fréquence plus importante que celle que le premier ministre libanais entretient avec aucun autre dirigeant arabe, même saoudien, ses parrains au départ.

Le leadership chrétien: Traumatisé par l’auto-décapitation de ses chefs charismatiques, le leadership chrétien, principalement maronite, balance entre patriarcat et matriarcat, entre la référence constante au chef spirituel de la communauté maronite, le Patriarche Sfeir, et le tempo politique imposé par les veuves des présidents assassinés du Liban, Bachir Gemayel et René Mouwad, soutenu à distance par Mme Samir Geagea, l’épouse du dirigeant des Forces Libanaises (milices chrétiennes) incarcéré au Liban.

Signe certain d’un désarroi, l’absence de renouvellement du personnel politique se traduit par le retour du religieux en tant que substitue au politique et de la féodalité clanique, en guise de leadership.

Avec les mêmes erreurs? Dans les années 1960-70, l’alliance tripartite formée par les trois principaux dirgeants maronites Camille Chamoun, Pierre Gemayel et Raymond Eddé, s’était opposée aux réformes du président de l’époque le général Fouad Chehab et ses successeurs, sous couvert de lutte contre la bureaucratie militaire, neutralisant le projet instituant un service militaire obligatoire qui aurait favorisé l’amalgame de la population et développé son sens civique, au prétexte qu’’il gréverait le budget de cette République mercantile. La suite est connue.

Trente ans et une meurtrière guerre civile plus tard, nous voilà de nouveau face à la même équation: une coalition de dirigeants chrétiens, ou leur héritiers, face à un militaire réformiste.

Sauf à vouloir provoquer l’exode final des chrétiens arabes, le leadership chrétien libanais, en particulier maronite, serait avisé de se vivre non comme la pointe avancée de l’Occident en terre arabe, mais de se considérer plutôt comme exerçant son pouvoir, symboliquement par délégation des autres communautés chrétiennes du monde arabe et prendre la mesure du fait que ses options se repercutent d’une manière ou d’une autre sur ses correligionnaires. Cela n’est écrit dans aucune constitution mais cela relève de l’intelligence politique, du sentiment bien assumé de la justesse de la cause arabe et d’un reflexe de survie.

A ce titre, il n’est pas judicieux de se poser en défenseur sourcilleux de la souveraineté libanaise et de s’associer à des équipées putchistes avec les dirigeants israéliens, de se placer en meilleur allié de Saddam Hussein sans se préoccuper dans le même temps du sort de la communauté chrétienne irakienne et des Droits de l’homme dans ce pays, ou encore de témoigner devant le congrès américain en pleins préparatifs de l’invasion de l’Irak, comme ce fut le cas du général Michel Aoun, ancien chef du gouvernement provisoire libanais en exil à Paris.

Sauf à considérer la chrétienté comme relevant du patrimoine exclusif de l’Occident, la vocation première des chrétiens arabes est d’être partie prenante au combat national arabe pour la restauration de la dignité et de la souveraineté nationale des peuples de la région et non de se vivre comme le fer de lance du combat pour leur soumission à l’ordre américain.

La démocratisation de la vie arabe sera l’oeuvre des Arabes ou ne sera pas. En aucun cas, elle ne devra se faire à l’ombre des baillonnettes américaines.