Friday, December 13, 2024
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La problématique du BRICS dans l’ordre mondial : Vers une «désoccidentalisation de la planète » 2/2

1- Le déclic : le gel des avoirs russes en Occident. La décision de l’OTAN de geler les avoirs russes…

Par : René Naba - dans : Actualités Agenda Diplomatie - le 25 septembre 2024

1- Le déclic : le gel des avoirs russes en Occident.

La décision de l’OTAN de geler les avoirs russes en Occident en représailles à l’invasion de l’Ukraine a constitué un déclic salutaire au sein du BRICS.

Le moment décisif – le véritable déclencheur de la chute de l’hégémon – a eu lieu en février 2022, lorsque plus de 300 milliards de dollars de réserves de change russes ont été «gelé» par l’Occident collectif, et que tous les autres pays de la planète ont commencé à craindre pour leurs propres réserves de dollars à l’étranger.

Par réflexe d’auto-défense, la Chine, qui détient un important lot de «Bons de Trésor» américains, a ainsi acheté, en 2022, 524 tonnes d’or pour une valeur de 33 milliards de dollars sur le marché mondial ainsi que 6 tonnes d’or de Russie. Disposant d’un total de 2010 tonnes d’or, la Chine se hisse ainsi au 6eme rang mondial des détenteurs de métaux précieux. La Russie se place en 5ème position avec 2.200 tonnes. Les réserves cumulées de la Chine et de la Russie, 4.309 tonnes, représentent la moitié des réserves des Etats-Unis estimées, elles, à 8.133 tonnes.

De surcroît, les puissances émergentes qui composaient le groupe au départ ont fortement progressé dans l’économie mondiale : alors que ces pays représentaient il y a vingt ans 16 % du produit intérieur brut mondial, ce chiffre pourrait passer à 40 % d’ici à 2025.

Le BRICS a ainsi désormais la capacité de remettre en cause l’ordre établi par la domination politique et économique des États-Unis, qui se fait notamment au travers des instruments financiers que sont le dollar et les mécanismes de la dette internationale.

2 – Une monnaie concurrente au dollar ?

L’alliance des cinq pays fondateurs du BRICS représente déjà aujourd’hui près de la moitié de la population terrestre et un tiers du PIB mondial. A l’horizon de 2050, le PIB combiné pourrait atteindre, voire dépasser, le niveau de 50% du PIB mondial.

Le PIB combiné des 5 cinq membres des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) dépasse désormais celui des 7 membres du club occidental + Japon, le fameux G7. Quatre des membres des BRICS, à savoir la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie –feront partie du Top 5 des principales économies mondiales.

La part du dollar dans les réserves mondiales était de 73% en 2001, de 55% en 2021 et de 47% en 2022. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en 2022, la part du dollar a diminué dix fois plus vite que la moyenne des deux dernières décennies.

Il n’est désormais plus farfelu de prévoir une part mondiale du dollar de seulement 30% d’ici à la fin de 2024, coïncidant avec la prochaine élection présidentielle aux États-Unis.

Le nouvel ordre économique mondial en gestation prévoit le lancement d’une monnaie concurrente au dollar, davantage basé sur les échanges entre pays en développement et appuyé par des puissances comme la Chine, l’Inde et la Russie, par opposition à un ordre dominé par les États-Unis et l’Europe. Toutefois, l’objectif à court terme du BRICS est l’expansion de l’utilisation des monnaies nationales plutôt que sur la dé dollarisation.

Certains pays cherchent d’abord à réduire l’utilisation du dollar dans leur propre économie pour se protéger des turbulences financières internationales. D’autres souhaitent échapper à l’extraterritorialité du droit des Etats-Unis, qui utilisent le dollar pour imposer sanctions et amendes à l’étranger.

Leslie Maasdorp, directeur financier de la New Development Bank (NDB, communément appelée la banque des BRICS), précise à ce sujet : “La monnaie de fonctionnement de la banque est le dollar pour une raison très spécifique :  c’est en dollars américains que se trouvent les plus grandes réserves de liquidités… On ne peut pas sortir de l’univers du dollar et opérer dans un univers parallèle“.. Ce que nous cherchons, c’est à faire avancer l’agenda du Sud et à construire une architecture mondiale plus inclusive, plus représentative, plus juste et plus équitable.

3 -La multiplication des échanges en monnaie locale

La Russie et l’Inde échangent du pétrole en roupies. Banco Bocom BBM est devenue la première banque latino-américaine à participer directement au système de paiement interbancaire transfrontalier (CIPS), qui est l’alternative chinoise au système de messagerie financière occidental SWIFT.

La société chinoise CNOOC et la société française Total ont signé leur première transaction de GNL en yuans par l’intermédiaire de la bourse du pétrole et du gaz naturel de Shanghai.

L’accord conclu entre la Russie et le Bangladesh pour la construction de la centrale nucléaire de Roo Pour contournera également le dollar américain. Le premier paiement de 300 millions de dollars sera effectué en yuans, mais la Russie essaiera de convertir les suivants en roubles.

Les échanges bilatéraux entre la Russie et la Bolivie acceptent désormais les règlements en boliviano. Une décision importante compte tenu de la volonté de Rosatom de jouer un rôle crucial dans le développement des gisements de lithium en Bolivie.

Avec l’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Turquie, l’Indonésie et le Mexique comme possibles nouveaux membres, il est clair que les principaux acteurs du Sud mondial commencent à se concentrer sur la quintessence de l’institution multilatérale capable de briser l’hégémonie occidentale.  A noter que le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite a été négocié par un poids lourd des BRICS, la Chine, induisant une relation beaucoup plus étroite entre le Conseil de coopération du Golfe (CCG) dans son ensemble et le partenariat stratégique Russie-Chine.

Pour aller plus loin sur ce thème, cf. ce lien

Cela devrait se traduire par des rôles complémentaires – en termes de connectivité commerciale et de systèmes de paiement – pour le corridor international de transport nord-sud (INSTC), qui relie la Russie, l’Iran et l’Inde, et le corridor économique Chine-Asie centrale-Asie de l’Ouest, un élément clé de l’ambitieuse Initiative Ceinture et Route (BRI) de Pékin, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars.

5- L’Inde versus la Chine : Le corridor reliant Bhârat à l’Union européenne.

Les Occidentaux paraissent vouloir jouer la carte indienne pour contenir l’expansion chinoise, en finançant la construction d’un corridor reliant Bhârat à l’Union européenne.

Dans la foulée du sommet du BRICS de Johannesburg, les membres occidentaux du G20,  lors du dernier sommet de ce groupement en Inde en Août 2023, un accord de principe entre les États-Unis, Bhârat, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Union européenne, la France, l’Allemagne et l’Italie en vue de la réalisation de ce projet.

A un an des élections présidentielles américaines, qui s’annoncent hasardeuses pour le président Joe Biden, l’administration américaine a fait le pari de favoriser Bhârat face à la Chine et de concurrencer les nouvelles routes de la soie chinoises.

Il s’agit aussi d’exclure de ce développement l’Égypte, la Syrie, l’Irak, la Turquie et l’Iran, au profit d’Israël. Ce corridor reliera en effet le Golfe persique au port méditerranéen d’Haïfa, en passant à travers la péninsule arabique.

En 2021 , au G7 de Carbis Bay (Royaume-Uni), l’administration Biden avait déjà annoncé le projet pharaonique, Build Back Better World (B3W). Il s’agissait de financer pour 40 000 milliards de dollars des routes capables de rivaliser avec le projet chinois de l’Initiative route et ceinture (BRI).

Ce programme a été confirmé par les deux sommets ultérieurs, mais sa mise en œuvre est toujours attendue.

Plus de cinquante ans après sa création, le G7 ne correspond plus aux rapports de force mondiaux. La réunion en Italie, mi-juin 2024, a mis en lumière des chefs d’Etats et de gouvernement affaiblis, tant el français Emmanuel Macron et le britannique Rishi Sunak, hormis la dirigeante italienne d’extrême droite, Giorgia Meloni.

6- Au-delà des BRICS.

Le train de la dé-dollarisation a été propulsé à grande vitesse par les effets cumulés du chaos de la chaîne d’approvisionnement lié au Covid et des sanctions occidentales collectives contre la Russie. Le point essentiel est le suivant : Les BRICS possèdent les matières premières et le G7 contrôle la finance. Ce dernier ne peut pas produire de matières premières, mais le premier peut créer des monnaies – en particulier lorsque leur valeur est liée à des biens tangibles comme l’or, le pétrole, les minerais et d’autres ressources naturelles.

Le principal facteur de basculement est sans doute le fait que les prix du pétrole et de l’or se déplacent déjà vers la Russie, la Chine et l’Asie de l’Ouest. En conséquence, la demande d’obligations libellées en dollars s’effondre lentement mais sûrement. Des milliards de dollars américains commenceront inévitablement à retourner dans leur pays d’origine, faisant voler en éclats le pouvoir d’achat du dollar et son taux de change.

La chute d’une monnaie militarisée finira par anéantir toute la logique qui sous-tend le réseau mondial de plus de 800 bases militaires des États-Unis et leurs budgets de fonctionnement.

L’abandon du dollar a déjà un mécanisme : utiliser pleinement les futurs contrats pétroliers en yuans de la Bourse de l’énergie de Shanghai serait la voie privilégiée pour la fin du pétrodollar.

La projection de la puissance mondiale des États-Unis repose fondamentalement sur le contrôle de la monnaie mondiale. Le contrôle économique est à la base de la doctrine «Domination tous azimuts» du Pentagone. Pourtant, aujourd’hui, même la projection militaire est en lambeaux, la Russie conservant une avance considérable sur les missiles hypersoniques et la Russie, la Chine et l’Iran étant en mesure de déployer une panoplie de porte-avions tueurs.

Épilogue : Le précédent de Bandoeng

En 1955, les pays anciennement colonisés s’étaient réunis à Bandoeng, en Indonésie, pour lancer le Mouvement des Non Alignés, qui se voulait équidistant des deux blocs, le pacte atlantique (Otan) et le pacte de Varsovie (bloc soviétique) à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine.

68 ans plus tard, Johannesburg signe l’émergence d’une nouvelle structure diplomatique et économique visant à promouvoir un monde multipolaire afin de «désoccidentaliser la planète».

Mais à la différence du Mouvement des Non Alignés, le BRICS aligne trois puissances nucléaires (Chine, Inde, Russie), soit autant que la totalité de l’Otan, ce qui n’était pas le cas à Bandoeng, et deux pays clés de l’économie mondiale, la Chine et l’Inde, ce qui n’était pas non plus le cas à Bandoeng, alors que l’Asie est propulsée au rang de premier continent de par son importance démographique et économique et que l’Occident est en crise systémique d’endettement. Non une nuance, mais une différence de taille.

Sur Bandoeng, cf, ces deux liens :

Illustration

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Reuni%C3%A3o_anual_de_ministros_das_Comunica%C3%A7%C3%B5es_do_Brics_%2853100105108%29.jpg