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Sabra-Chatila: In Memoriam

«Massaker » et «Valse avec Bachir » une valse macabre à trois temps. « A Chatila, à Sabra, des non-juifs ont…

Par : René Naba - dans : Analyse Liban - le 17 septembre 2008

«Massaker » et «Valse avec Bachir » une valse macabre à trois temps.

« A Chatila, à Sabra, des non-juifs ont massacré des non-juifs, en quoi cela nous concerne-t-il ? » Intervention du premier ministre israélien Menahem Begin à la Knesset lors du débat sur les responsabilités israéliennes dans le massacre des camps palestiniens du sud de Beyrouth, l’été 1982.

«Toute cette équipée aurait dû porter en sous-titre  » Songe d’une nuit d’été  » malgré les coups de gueule des responsables de quarante ans. Tout cela était possible à cause de la jeunesse, du plaisir d’être sous les arbres, de jouer avec des armes, d’être éloigné des femmes, c’est-à-dire d’escamoter un problème difficile, d’être le point le plus lumineux parce que le plus aigu de la révolution, d’avoir l’accord de la population des camps, d’être photogénique quoi qu’on fasse, et peut-être de pressentir que cette féerie à contenu révolutionnaire serait d’ici peu saccagée: les Fedayine ne voulaient pas le pouvoir, ils avaient la liberté.

Au retour de Beyrouth, à l’aéroport de Damas, j’ai rencontré de jeunes Fedayine, échappés de l’enfer israélien. Ils avaient seize ou dix-sept ans: ils riaient, ils étaient semblables à ceux d’Ajloun. Ils mourront comme eux. Le combat pour un pays peut remplir une vie très riche, mais courte. C’est le choix, on s’en souvient, d’Achille dans l’lliade…. »

Jean Genêt «Quatre heures à Sabra-Chatila », in Revue d’Etudes Palestiniennes, N°6 Hiver 1983

Paris, 20 septembre 2008 – «Massaker» et «Valse avec Bachir», deux films qui traitent du massacre des camps palestiniens de Sabra-Chatila, dans la banlieue sud-est de Beyrouth, en 1982, s’imposent, d’emblée et sans ambages, comme antidote à l’amnésie précoce de la classe politico-médiatique tant au Liban, qu’en Israël, que dans les pays arabes et les pays occidentaux, sur l’un des poins forts de la barbarie humaine de l’époque contemporaine.

Près de trois mille palestiniens seront massacrés de sang froid pendant trois jours -les 15,16 et 17 septembre 1982-, dans une opération téléguidée par Israël et exécutée par ses alliés des milices chrétiennes pour venger l’assassinat de Bachir Gemayel, chef des Forces Libanaises, fraîchement élu à la présidence de la République Libanaise et assassiné à la veille de son entrée en fonction. Par la gratuité de sa violence aveugle, cet acte fut comparé en son temps par le Président François Mitterrand à Ouradour sur Glane, du nom d’une opération analogue commise par l‘armée allemande à l’encontre des habitants de la bourgade française en guise de représailles à l’assassinat de soldats allemands en France.

Massaker

Dans l’histoire de la cinématographie mondiale, Massaker aura eu un rôle pionnier. Hormis le bouleversant témoignage de Jean Genêt -«Quatre heures à Chatila»- consigné dans la Revue d’Etudes Palestiniennes, (N° 6 Hiver 1983), ce film est le premier document consacré à cet événement qui précipita la mise à l’écart du chef historique de la droite messianique israélienne, le premier ministre Menahem Begin, l’artisan de l’invasion israélienne du Liban qui déconsidéra durablement les milices chrétiennes libanaises et leurs chefs successifs.

La lente confession patiente et méthodique des bourreaux, par moments comme désertés de toute humanité, la reconstitution de la violence aveugle dans toute sa brutalité et sa nudité, demeureront longtemps gravées dans la mémoire humaine comme un document témoin, par excellence, des dérives inhumaines et des pulsions morbides des belligérants en situation de conflit exacerbé. Sans nul doute, ce froid récit d’un massacre a soustrait de l’oubli ce moment aigu de la déraison humaine. Il prend désormais pleinement place dans le travail de reconstitution de la mémoire de la guerre du Liban (1975-1990). C’est son premier et immense mérite.

Grâce soit donc rendue au Festival du Film de Douarnenez (Bretagne) d’avoir programmé sa projection lors de sa saison de 2008, alors que le Monde commémore dans une indifférence quasi-général le 26 me anniversaire de ce massacre. Grâce soit rendue aussi et surtout aux réalisateurs de ce film, Monika Borgmann et Lokman Slim, pour leur immense apport à l’épreuve de vérité que les Libanais se devront un jour ou l’autre, tôt ou tard, d’affronter pour accéder à une meilleure connaissance d’eux-mêmes, et, partant, de leur propre histoire. Le tandem germano-libanais est co-fondateur de «Umam documentation and research », association qui s’attache à conserver la mémoire politique et sociale du Liban par la création d’archives ouvertes. Ceci pourrait expliquer cela……… en toute cohérence.

Valse avec Bachir

Ce film du réalisateur israélien Ari Folman confirme, du fait même de son existence, la réalité d’un massacre, longuement relégué dans la mémoire collective du pays et les oubliettes de l’histoire israélienne.

Hormis le rapport Kahanna de la commission d’enquête israélienne sur les responsabilités de la tragédie, qui exonérait quasi-totalement Israël et égratignait le ministre de la défense de l’époque, le général Ariel Sharon, aucune œuvre de l’esprit ne mentionne ce fait peu glorieux de l’histoire militaire israélienne, Un fait qui a de surcroît considérablement terni le mot d’ordre de la «pureté des armes» de l’armée israélienne et démasqué la nature belliqueuse d’une armée abusivement désignée par des chroniqueurs complaisants de «Tsahal», selon la traduction littérale de son appellation hébraïque, «armée de défense», alors que depuis 1967, elle s’était mue en une armée d’occupation, offensive et offensante, avec son cortège d’exécutions sommaires, d’assassinats extrajudiciaires et d’expédition punitives et dont le Liban en sera le cimetière moral.

Ce film, à n’en pas douter, est riche surtout de ses omissions. Film de fiction, il permet par ce procédé oblique d’évoquer certes un sujet traumatisant pour son auteur puisqu’il était un des éclaireurs de l’assaut, un des soldats chargé de tirer les fusées éclairantes sur les lieux du crime, tout en occultant toutefois la réalité historique passée et présente tant d’Israël que du Liban que de la Palestine. Cette fiction confirme a contrario, d’une manière symbolique, le ghetto dans lequel baigne l’univers mental des Israéliens dans leur environnement régional. Un ghetto mental qu’illustre parfaitement l’intervention du premier ministre israélien Menahem Begin devant la Knesset lors du débat sur les responsabilités israéliennes dans ce massacre: « A Chatila, à Sabra, des non-juifs ont massacré des non-juifs, en quoi cela nous concerne-t-il? « 

Le cinéaste est à la recherche des origines de son traumatisme, négligeant totalement le profond traumatisme des réfugiés palestiniens déjà expulsés de leur propre pays par les mêmes assaillants qui les pourchasseront de nouveau quarante ans plus tard dans leur nouveau refuge, les camps de Sabra-Chatila, terme ultime de leur naufrage et de leur sacrifice.

Autre omission de taille qui aurait pu être pourtant mise à l’honneur de l’armée israélienne et qui tranche avec le comportement moutonnier de ses soldats: la démission depuis le champ de bataille de l’officier en charge de l’assaut de Beyrouth, le colonel Elie Gueva, en guise de protestation conte des ordres qu’il jugeait contraires aux lois de la guerre et de la morale. Elie Gueva a été depuis lors ostracisé par la société militaire israélienne, frappé de syndrome de Sabra-Chatila, rejeté vers les profondeurs de l’anonymat le plus complet, alors que la mise en relief d’un tel comportement aurait eu valeur pédagogique et thérapeutique, au moment où des ultra faucons se disputent la succession d’Ariel Sharon, notamment Benyamin Natanyahou et Shaul Mofaz, visiblement nullement instruit des conséquences désastreuses pour leur pays des équipées bellicistes de leur aîné. Avait-il au moins connaissance, Ari Folman, du geste du Colonel Elie Gueva ?? La censure militaire israélienne l’a-t-elle à ce point occulté du récit de la guerre que le cinéaste n’en retrouve pas trace ??? Ou alors en ayant eu connaissance, n’en a-t-il pas mesuré toute la portée morale ??

Il en est de même des Libanais et des Palestiniens que le film ne mentionne que d’une manière incidente et ne leur donne jamais la parole, n’évoquant nullement leur souffrance, ne cherchant même pas à s’imaginer les terribles ultimes pensées de ces êtres désarmés, doublement persécutés tant par la soldatesque israélienne que par leurs alliés miliciens chrétiens libanais. Ainsi se nourrit les révoltes futures des peuples persécutés.

Au delà de ces critiques, toutefois, le film existe et son existence est salutaire. La scène de la conversation téléphonique entre le premier ministre Menahem Begin et, Ariel Sharon, son ministre de la défense au lendemain des massacres de Sabra-Chatila demeurera dans l’histoire comme un morceau d’anthologie. Tenant d’une main son combiné, opinant régulièrement du chef en direction de son supérieur hiérarchique, l’homme à l’embonpoint légendaire, avait les yeux rivés sur dix œufs plats qu’il s’était commandé pour son petit déjeuner, …….comme indifférent aux malheurs des autres, se préoccupant surtout durant cette conversation de satisfaire, au propre comme au figuré, son féroce appétit de pouvoir et sa boulimie alimentaire. L’appétit de pouvoir, il la satisfera en devenant premier ministre 18 ans après Sabra Chatila, sa boulimie alimentaire, elle, le terrassera ainsi que sa carrière politique, en le plongeant dans un coma cinq ans plus tard.

Au-delà de critiques, un fait demeure toutefois: les fossoyeurs des Palestiniens, le Libanais Bachir Gemayel et l’Israélien Ariel Sharon, par une cruelle ironie de l’histoire, seront, au-delà de la mort, associés à ce point noir de l’histoire contemporaine, tandem infernal d’une conjuration maléfique. A chaque commémoration annuelle de l’assassinat de Bachir Gemayel répondra en écho la commémoration des massacres des camps palestiniens de Sabra-Chatila et la fin caricaturalement tragique d’Ariel Sharon. Trois faits désormais à jamais indissociablement liés dans l’horreur…..dans un sorte de danse de la mort, une valse à trois temps macabre entre Bachir, Sharon et Sabra-Chatila. Comme une sorte de rappel à l’ordre permanent.

Il était une fois Beyrouth, de Jocelyne Saab

Une ode nostalgique à la beauté majestueuse de Beyrouth, une ville frondeuse et indomptable, un hommage à l’un des rares titres de gloire militaire de l’histoire arabe contemporaine.

En complément à ce panorama se projette le film «Il était une fois Beyrouth» de Jocelyne Saab, une ode nostalgique à la beauté majestueuse de Beyrouth. Dans cette rétrospective, Jocelyne Saab restitue l’âme d’une ville qui fut la respiration du monde arabe et sa conscience critique, pendant un demi siècle, une ville qui assume de surcroît une fonction traumatique dans la conscience collective israélienne puisqu’elle revendique le privilège unique au Monde d’avoir symbolisé, à deux reprises dans l’histoire contemporaine, la résistance arabe à l’hégémonie israélo-américaine:

-La première fois, en 1982, lors du siège de la capitale libanaise par le général Ariel Sharon, du temps où le sunnisme s’identifiait au combat nationaliste, depuis le fief du sunnisme libanais à Beyrouth-Ouest,
-La deuxième fois, en 2006, depuis Beyrouth-sud, cette fois, (ad dahyah), littéralement la banlieue sud de la capitale, le fief chiite de la capitale, du temps du coma du général Ariel Sharon, où le chiisme libanais suppléant la vassalisation du sunnisme arabe à l’axe israélo-américain, prenait sa relève en vue de pérenniser le combat nationaliste arabe.

Près de 300 films ont été visionnés, dont les extraits jalonnent le portrait d’une ville attachante, et au-delà de clichés et des représentations parodiques, une ville frondeuse et indomptable.

Sur le terrain depuis le début des hostilités du Liban en tant que reporter de guerre, profession rarissime dans le Monde arabe à l’époque, la libanaise Jocelyne Saab est un témoin visuel de premier plan de ce drame interminable, un de ces documentalistes particulièrement pertinents qui rend ainsi hommage à une ville symbole de la résistance à l’hégémonie israélo-américaine, qui s’inscrit comme l’un des rares titres de gloire militaire de l’histoire arabe contemporaine.