Wednesday, October 16, 2024
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Lettre ouverte aux dirigeants libanais de La Celle Saint Cloud

Vous voilà enfin réunis en France sans que l’on sache si l’on doit s’en réjouir ou le déplorer. La démonstration…

Par : René Naba - dans : Editorial Liban - le 5 juillet 2007

Vous voilà enfin réunis en France sans que l’on sache si l’on doit s’en réjouir ou le déplorer.

La démonstration est faite qu’il vous faut une terre étrangère pour vous parler, comme si le salut ne peut venir que de l’extérieur. Comme si vous ignorez que l’extérieur fait partie de vos problèmes et non de la solution de vos problèmes.

L’Histoire en est témoin: Le premier dialogue a été noué à Lausanne (Suisse), en 1984, le deuxième à Taëf (Arabie saoudite), en 1989, et le troisième maintenant à Paris. Des dates qui retentissent pour bon nombre d’entre vous comme des reniements.

Paris, précisément, comme si vous vouliez apporter la preuve que vous êtes demeurés, soixante ans après l’indépendance, d’éternels mineurs, vous, grands seigneurs du Liban chatouilleux sur vos prérogatives et vos passe-droits, d’éternels mineurs, objet d’une tutelle permanente. Un comble. Sinon comment expliqueriez vous cette rencontre sous les auspices de votre ancien tuteur, sans doute à l’origine de nombre de vos maux, en taillant ce petit pays à sa mesure ?

Vous l’avez constaté sans doute à vos dépens, même si vous en êtes -pour combien de temps encore ? – les principaux bénéficiaires. Unique pays au monde se revendiquant de la laïcité, la France a été le premier pays, historiquement, à institutionnaliser et à instrumentaliser le communautarisme dans son protectorat libanais …….en visionnaire,……..en lointain précurseur de la communautarisation générale de la vie publique du Moyen-Orient.

Certains d’entre vous portent les espoirs de l’Occident. Vous en êtes la lumière, alors que vos adversaires sont jetés dans l’opprobre, rejetés dans l’ombre quand bien même ils auront lavé l’honneur militaire arabe, et écrit, en lettres de sang, certains des faits d’armes les plus glorieux de l’histoire arabe récente. Passons. Au Liban, nous ne sommes pas à une contradiction près.

Ainsi donc vous passez pour les fiers défenseurs de la démocratie, de l’indépendance et de la souveraineté du Liban, redevenu sous votre égide un havre de la chrétienté d’Orient, face à la barbarie terroriste et islamiste.

Soit. Mais alors comment expliquer que deux d’entre vous, désormais à la pointe du combat anti-syrien -MM. Saad Hariri et Walid Joumblatt- aient été les principaux bénéficiaires de l’affairisme libanais sous tutelle syrienne.

Comment expliquer que M.Amine Gemayel, en pointe du combat pour l’indépendance du Liban, soit passé par les fourches caudines de l’armée israélienne pour accéder à la magistrature suprême, en récidiviste familial, suivant en cela l’exemple de son cadet, Bachir.

Comment expliquer que M. Samir Geagea, en pointe pour la consolidation d’un foyer chrétien au Liban, passe, à tort ou à raison, pour avoir été l‘un des principaux fossoyeurs du leadership chrétien libanais, que cela soit par ses raids contre le fief de la famille Frangieh, à Ehden, contre les milices chamouniennes du Parti National Libéral ou enfin contre l’autorité du premier ministre intérimaire de l’époque, le Général Michel Aoun.

Curieuse façon de confier à des féodaux la défense de la démocratie, Curieuse façon de confier à ceux qui seraient – n’était-ce l’amnistie amnésiante- des «criminels de guerre» le soin de pacifier le pays, de rétablir la concorde nationale et de faire régner une justice impartiale au bénéfice de tous.

Curieuse façon de prendre exemple sur la France, elle, dont les gazettes bruissent de ténébreuses affaires sur une instrumentalisation de la justice à des fins partisanes, comme ce fut le cas dans l’Affaire Mehdi Ben Barka, non résolue quarante après sa survenance, dans l’affaire du juge Bernard Borel ou encore dans l’affaire Clearstream. Passons. Il est admis, qu’à propos du Liban et des dirigeants Libanais, nous ne sommes pas à une contradiction près.

Lamentable est votre incapacité au dialogue et indigne le spectacle de l’étalage de vos divisions…. comme une parfaite illustration de votre absence de considération pour un pays que vous avez allégrement sinistré, et, pour un peuple que vous avez considérablement démuni par vos querelles incessantes.

Inamovibles responsables du destin du Liban, votre singulière conception du politique explique pour une large part votre incapacité de proposer une réelle perspective de sortie de crise, au mépris de l’intérêt général du pays. C’est bien là, une preuve supplémentaire, du peu de cas que vous faites des véritables préoccupations d’une large partie de notre peuple, notamment la fraction la plus démunie, la plus désemparée.

Que la diplomatie française tente de suppléer vos carences ne vous exonère en rien de vos responsabilités. Son implication répond d’abord à son souci de préserver ses intérêts de puissance, c’est-à-dire à préserver l’un de ses rares points d’ancrage qui lui subsiste dans le monde arabe, en visant au premier chef à atténuer le caractère abusivement personnalisé des relations d’Etat sous la précédente magistrature.

Son hospitalité n’est pas fortuite. En filigrane de la réunion de Saint Cloud se profile l’élection présidentielle de 2007, dans sa version libanaise, avec notamment la volonté des grands électeurs que vous avez habitués à décider de votre sort, à peser sur le choix final.

En 1958, au sortir de la première guerre civile libanaise, à l’ombre des marines américains, le Général Fouad Chéhab, a été porté à la magistrature suprême. En 1982, ce fut au tour des deux frères Gemayel, Bachir et Amine, record familial mondial absolu, d’y accéder à l’ombre des blindés israéliens. En 1989, avec a guerre contre l’Irak, ce fut au tour d’Elias Hraoui, puis d’Emile Lahoud, d’y accéder sous l’ombrelle syrienne.

Quid de l’édition 2007 ? Une remake de 1982 avec l’investiture du successeur de Bachir Gemayel, sa copie conforme, le chef milicien Samir Geagea, avec le soutien du couple franco-américain ou le Général Michel Aoun, dans la lignée militaire du Général Fouad Chehab?

Les tentatives visant à impliquer la France dans les conflits inter-libanais, c’est-à-dire à en faire l’alliée d’un camp au détriment de l’autre, pourraient être contre-productif tant pour la France que pour le Liban, car -l’expérience l’enseigne- elles placeraient le pays hôte en opposition frontale avec l’un des protagonistes libanais, en contradiction avec son objectif recherché.

La démocratie ne se préserve pas à coups de faux semblants et de faux fuyants et le sort funeste réservé aux comparses irakiens Ahmad Chalabi et Iyad Allaoui de l’aventure américaine en Irak, devrait vous inciter à de salutaires méditations sur les sources intellectuelles de la conviction et la pérennité des amitiés en politique.

Le propos est d’expérience et témoigne de la fiabilité du discours occidental. Qui se souvient encore que, sous couvert de «lutte contre le terrorisme», l’actuel premier ministre libanais Fouad Siniora et le chef druze Walid Joumblatt, avant son retournement et son ralliement au camp américain, ont été interdits de séjour aux Etats-Unis pour avoir critiqué l’intervention américaine en Irak et contribué à des œuvres caritatives chiites. Les voilà, trois ans plus tard, objet de tous les égards et promus au rang de défenseurs de la démocratie et de la modernité. N’est dupe que celui qui veut bien l’être.

Au-delà de la réunion de Saint Cloud, il vous incombera de prendre la mesure de l’impérieuse nécessité d’un changement profond touchant toutes les sphères de la vie politique nationale, à commencer par la refonte de l’Etat, la redéfinition des missions stratégiques de l’armée nationale, longtemps confinée à un rôle répressif de super-gendarme, et son articulation avec la Résistance nationale, dont les faits d’armes ont valu au Liban et aux Libanais prestige et considération dans de larges fractions de l’opinion occidentale et dans l’ensemble du tiers-monde.

Tout autre comportement serait indigne du Liban. Indigne des sacrifices qu’il a consentis pour demeurer à l’avant-garde du combat pour la satisfaction des aspirations légitimes du monde arabe, à l’avant garde du combat pour la maturité démocratique arabe.

Cette lettre vous est adressée le 12 juillet 2007 qui marque le premier anniversaire de la guerre déclenchée par Israël contre le Liban et des bouleversements psychologiques et stratégiques qui se sont ensuivis avec le revers militaire israélien. Plutôt que de vous épuiser dans une nouvelle guerre de religion (chrétiens/musulmans, sunnites/chiites), avec en toile de fonds le désarmement des milices, vous seriez plus avisés de consacrer votre énergie à obtenir condamnation d’Israël pour sa violation du droit humanitaire international, à obtenir réparation des dommages infligés au Liban par l’usage des armes prohibés.

Il nous paraît curieux que ce point soit absent du débat public libanais, signe d’une certaine amnésie ou d’une certaine connivence ?

Non à la division des Libanais, Non à un candidat de la division

Dans un souci de concorde nationale, nous récusons d’avance tout candidat à la magistrature suprême dont les mains sont souillées du sang de libanais, tout candidat dont la fortune s’est constituée des rapines de la guerre. Il ne saurait y avoir de prime à la forfaiture sous couvert d’Unité nationale.

Solidaires de la souffrance des Libanais et de l’injustice qu’ils subissent, nous condamnons vivement l’assassinat du premier ministre Rafic Hariri, avec la même vigueur que nous condamnons l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé, l’assassinat du chef druze du parti socialiste Kamal Joumblatt, comme celui du dirigeant communiste Georges Hawi, comme celui du dirigeant milicien Dany Chamoun ou du dirigeant nationaliste arabe Maarouf Saad.

Nous condamnons également avec la même vigueur l’assassinat du journaliste Gébrane Tuéni et de Samir Kassir avec la même vigueur que celle de Nassib Metni, celle du député Pierre Gemayel avec la même vigueur que celle du député Tony Frangieh, décapité avec l’ensemble de sa famille, dans son fief du Nord Liban chrétien.

Nous condamnons la disparition des 18.000 personnes anonymes et innocentes du conflit inter-libanais et déclarons notre solidarité avec les familles des 200.00 victimes et 1,5 millions blessées ou handicapées de même que tous les suppliciés de Damour, Cana, Sabra-Chatila et Tall-Zaatar.

Il ne saurait y avoir une hiérarchie dans la mort, de la même manière qu’il ne saurait y avoir d’appréciation positive ou négative des victimes sur le seul critère de leur proximité avec l’Occident ou l’Orient.

Nous rejetons donc énergiquement tout facteur de division, tout candidat de division quelque soit le soutien dont il bénéficie tant des protagonistes sur le terrain que de leurs parrains respectifs.

L’effort français ne doit pas dispenser les Libanais à faire preuve de maturité politique en songeant à se dégager, dans les meilleurs délais, ne serait-ce que pour les générations futures, de la tutelle de fait qui leur est imposée de part et d’autre, en vue de s’insérer sans retard, en tant qu’acteur principal, au cœur du processus historique de reconstruction du Liban en rapport avec son environnement arabe.

René Naba, journaliste-écrivain.
Rolland Richa, sociologue.
Ghada El-Yafi – Médecin Hématologue.