Les pétromonarchies arabes face à un triple péril 2
Bouc émissaire idéal de la faillite du système financier occidental, les pétromonarchies arabes face à un triple péril démographique, militaire…
Bouc émissaire idéal de la faillite du système financier occidental, les pétromonarchies arabes face à un triple péril démographique, militaire et domestique.
- Les pétromonarchies: Une préfiguration futuriste des cités marchandes de l’avenir, rivaux contemporains de Hong-Kong et de Monte-Carlo
- Le péril démographique: Abou Dhabi et Doubaï, les deux plus jolies villes indiennes du Monde.
Le basculement stratégique opéré au sein de la géo-économie mondiale du fait du l’irruption de Fonds souverains arabes dans le capital des grandes firmes occidentales a certes témoigné de l’intrépidité des investisseurs arabes dans leur souci de diversifier leur économie, mais il a désigné les pétromonarchies arabes comme le bouc émissaire idéal de la faillite du système financier occidental, et révélé du même coup leur vulnérabilité, du fait de leur configuration:
Une préfiguration futuriste des cités marchandes de l’avenir, rivaux contemporains de Hong-Kong et de Monte Carlo
Une constellation de micro-états balançant entre gigantisme économique et nanisme politique, face au triple péril résultant de leur trop grande dépendance vis-à-vis de la main d’œuvre étrangère, de leur trop grande dépendance militaire vis à vis des Etats-Unis d’Amérique et des incessantes frasques monarchiques au point d’accentuer le discrédit et de fragiliser les six pétromonarchies du golfe du fait de leur complet décalage avec le combat mené par les mouvements contestataires arabes contre l’hégémonie occidentale tant au Liban (Hezbollah), qu’en Irak (Moqtada Sadr) qu’ en Palestine (Hamas).
L’Arabie saoudite, la «King City Abdallah» et le pont au dessus de la Mer Rouge pour la jonction Asie Afrique
Propulsé par le nouveau boom pétrolier, le nouvel âge d’or du Golfe s’annonce prometteur, sauf fâcheux contretemps induisant de fortes perturbations. Un pactole de 1900 milliards de dollars (1) est affecté aux investissements de la zone à l’horizon de l’an 2015 en vue de diversifier les économies rentières de ces pays et à préparer «l’après pétrole». Soit des investissements de l’ordre de 271 milliards de dollars par an sur sept ans pour une zone qui compte 35 millions d’habitants répartis en six états (Arabie saoudite, Bahreïn, Etat des Emirats arabes unis, Koweït, Qatar et Sultanat d’Oman).
L’Arabie saoudite prévoit d’injecter dans son économie 855 milliards de dollars, dont 39 pour cent au secteur privé, 19 pour cent à l’énergie, 15 pour cent au forage et aux prospections et 13 pour cent à la pétrochimie. Ainsi le roi Abdallah d’Arabie saoudite a décidé de créer un million d’emplois en construisant six villes économiques pour y attirer des industries diversifiées (2).
King Abdullah City, sur la mer Rouge, au nord de Djeddah, devait être achevée fin 2008, avec un port et toutes les infrastructures y afférentes pour attirer 2 500 entreprises et leurs cadres. Le coût de ce projet est estimé à près de 400 milliards de dollars. Le Koweït, pour sa part, a mis en route un plan quinquennal (2009-2014) de 105, 5 milliards de dollars en vue de faire de l’Emirat un centre financier de dimension internationale. Au vu de la précédente expérience, le premier boom pétrolier où la dilapidation et la gabegie étaient de pratique courante, le nouveau pactole pétrolier paraît mieux géré. Le souci de préserver les ressources des générations futures est plus présent, mais le handicap majeur dont pâtit le Monde arabe est son absence de seuil critique du fait de sa balkanisation et sa mise sous tutelle américaine, qui obère son développement par des projets à dimension régionale. Les réalisations urbanistiques de Doubaï, du Qatar et des autres principautés du Golfe, tant vantées pour leur audace architecturale, se présentent déjà comme la préfiguration futuriste des cités marchandes de l’avenir.
La concentration de grands conglomérats de dimension internationale, telles la firme pétrolière américaine «Halliburton», la firme immobilière américaine «Donald Trump» et d’une kyrielle de sociétés informatiques, électroniques, automobiles ou de téléphonie mobile, (Mac Intosh, Apple, Nokia etc..) dans la zone franche de Djabal Ali, à Doubaï,confirment les principautés pétrolières dans leur rôle de plaque tournante du commerce transrégional (Asie-Europe, Asie-Afrique), de carrefour de l’isthme moyen-oriental à la charnière des trois masses continentales de l’Afrique, de l’Asie, de l’Europe, des grandes voies de communications terrestres et maritimes et de passages stratégiques (Détroit d’Ormuz, Bâb el Mandeb, Canal de Suez). Parmi les projets phares saoudiens, figure d’ailleurs celui de Tareq Ben Laden, frère d’Oussama Ben Laden, chef de l’organisation clandestine pan-islamique «Al-Qaïda», qui prévoit de relier L’Afrique et l’Asie par un pont surplombant le détroit de Bab el Mandeb, à la jonction de la Mer rouge et de l’Océan Indien, pour une liaison directe par la route entre Djibouti et le Yémen. Ce projet de 200 milliards de dollars prévoit la mobilisation de 850.000 travailleurs pour la construction de ce pont de 28 kms.
Doubaï et la zone franche de Djabal Ali
Doubaï qui abrite un important marché de métaux précieux dont les transactions rivalisent déjà par leur ampleur avec ceux de Singapour et de Suisse, ainsi qu’une zone franche des Médias où logent une quarantaine de chaînes satellitaires et leurs services annexes, devrait d’ailleurs abriter d’ici la fin de la décennie le plus important aéroport du monde avec une plateforme (HUB) destinée à décongestionner, en le détournant, le trafic des aéroports européens (Heathrow et Roissy-Charles de Gaulle notamment). Elle projette l’édification de la plus importante tour du monde «Bourj al-Arab», d’une hauteur de 1.200 mètres pour 140 étages, et d’un front de mer comprenant une importante Marina conquise sur la mer devant abriter sur un îlot artificiel en forme de palmier un complexe immobilier de luxe comprenant 200 villas, 40 hôtels haut de gamme et un gigantesque centre commercial de près d’un millier de magasins pour la vente de produits détaxés «Duty free shop». Doubaï ambitionne en effet d’attirer, à l’horizon de l’an 2015, 200.000 visiteurs par jour, pour des voyages d’affaires et de tourisme, alors que la principauté première, Abou Dhabi, siège de la Fédération, se lance dans un ambitieux programme d’hôtellerie de grand luxe confié au conglomérat hôtelier «Al-Jumeirah» pour la construction de cent hôtels à travers le Monde, dont certains sept étoiles, une notation de création récente spécialement conçue pour ce groupe et qui pourrait servir de norme hôtelière au XXI me siècle.
Abou Dhabi, capitale de la culture, du sport et du cinéma
Abou Dhabi qui abrite une copie du Musée du Louvre et prévoit la mise en place d’une copie du Musée Gugunheim, en 2009, s’est également lancé dans le sport de compétition professionnelle et le Cinéma en vue de renforcer la position de l’Emirat, comme capitale de la culture, du sport et du développement économique, et, à travers cet achat, braquer les projecteurs sur cette principauté pétrolière. Un Fonds souverain des Emirats arabes unis, l’Abu Dhabi United Group (Adug), est ainsi devenu actionnaire majoritaire du club anglais de première division Manchester City, pour un montant de 245 millions d’euros en vue de faire de ce club « le plus grand club de la League ». Joignant le geste à la parole, le fonds a annonçé le transfert de Robinho, qui évoluait la saison passée au Real Madrid, pour quelque 32,5 millions de livres (42 millions d’euros), un record pour le championnat britannique.Abou Dhabi s’est également tourné vers Hollywood où il envisage d’investir un milliard de dollars pour la production de films. Une compagnie ad hoc a été constituée à cet effet: «l’Abu Dhabi Media Company » financera huit films par an pendant cinq ans. (3).
Toutes les principautés pétrolières confondues, à travers une série de manifestations internationales de premier plan, cherchent à se doter d’une aura culturelle (installation d’une annexe de l’Université parisienne Panthéon-Sorbonne (Paris I) en plus de l’antenne du Louvre à Abou Dhabi, pour accéder au rang des villes mondes du XXI me siècle. Elles se vivent déjà et se veulent comme des rivales de Hong Kong et de Monte Carlo. En guise de produits d’appel, les Emirats ont mis à la disposition de célébrités du monde politique et du spectacle de luxueux appartements notamment au sein d’un des plus grands complexes immobiliers du monde «Jumeirah Beach Complex». Le champion du monde de la formule 1, le coureur sportif automobile allemand, Michaël Schumacher et des célébrités d’Hollywood ont notamment bénéficié de ces facilités, un geste présenté comme se situant dans la grande tradition d’hospitalité arabe. En un signe prémonitoire, Qatar a lancé en juillet dernier un raid financier visant à s’emparer de la minorité de blocage de la «Société des bains de mer» de Monaco, gestionnaire des installations portuaires et des centres de loisirs de la principauté, L’échec de cette tentative n’exclut pas la récidive. Soixante dix neuf mille (79.000 émiratis possèdent une fortune nette supérieure au million de dollars, hors résidence principale, soit une augmentation de 14 pour cent en 2008 par rapport à 2007. Dans l’ensemble du Moyen orient, le nombre de multimillionnaires a augmenté de 200 en un an, passant de 1.300 en 2007 à 1.500 en 2008, induisant des modes de consommation ostentatoires (4).
Le péril démographique: Abou Dhabi et Doubaï, les deux plus jolies villes indiennes du Monde.
Certes les «royalties», les recettes pétrolières, constituent indiscutablement l’élément moteur du développement économique régional, mais le boom immobilier et la considérable expansion du secteur tertiaire de ces états rentiers n’auraient jamais pris une telle ampleur sans le concours constant des soutiers anonymes de l’économie des services, les laissés pour compte de la société de l’abondance, la main d’œuvre étrangère taillable et corvéable à merci, originaire principalement des pays asiatiques, au point que le nouvel ambassadeur d’Inde auprès des Emirats s’émerveillait dernièrement lors de sa présentation de ses lettres de créance, en avril 2008, que «Abou Dhabi et Doubaï soient les deux plus jolies villes indiennes du Monde», dans un hommage indirect à la contribution de ses concitoyens (5).
Les principautés du Golfe présentent en effet cette singularité unique au monde de compter davantage de travailleurs expatriés que de nationaux et le nombre d’ouvriers en bâtiments dépasse de loin le nombre de citoyens au point que le Koweït a cherché en juillet dernier à se débarrasser, lui aussi, de ses sans papiers» en proposant aux Comores d’accueillir quatre mille d’entre eux en échange de lourds investissements koweitiens dans le secteur économique, alors que Abou Dhabi, pour décourager l’installation durable des immigrés asiatiques, proposait de limiter à un séjour unique de six ans, leur permis de travail et de résidence. L’offre koweitienne a été rejetée par les autorités comoriennes au motif qu’elle était périlleuse pour la cohésion nationale, et la proposition d’Abou Dhabi également rejetée au motif qu’elle était contre-productive, nuisible à l’attractivité des investisseurs économiques et démotivante sur le plan de l’efficacité économique (6). Le problème a d’ailleurs atteint une telle acuité qu’un haut responsable de la police du Golfe, voulant secouer la torpeur des dirigeants pétromonarchiques, n’a pas hésité à braver l’interdit qui frappe ce sujet tabou en prédisant l’élection à moyen terme d’un Indien à la présidence de la Fédération des principautés du Golfe:
«Barrack Obama n’est que le prélude à un vaste changement de la climatologie politique planétaire qui verra un indien se porter, à moyen terme, candidat à la présidence de la Fédération» a lancé le général Dhafi Khalfane, chef de la police de Doubaï, devant un auditoire médusé, lors d’un «Forum de l’identité nationale» tenu à Abou Dhabi en avril 2008, premier forum du genre sur ce thème depuis l’indépendance des principautés en 1970, il y a trente huit ans. Le nombre des travailleurs asiatiques dans le golfe est estimé à quinze millions de personnes, soit près de la moitié de la population de la zone, selon un rapport du secrétaire général du Conseil de Coopération du Golfe, Jamil Hujeilane soumis au dernier sommet des dirigeants du Golfe, en 2008. La situation des Emirats est, à cet égard, caricaturale. Les immigrés y représentent 85 pour cent de la population totale. Sur 3,8 millions d’habitants, les nationaux ne sont que le 3me groupe de population (640.000), bien après les Indiens (1,2 millions d’habitants) qui sont sur ce point à égalité avec les Pakistanais. Toutes nationalités confondues, les asiatiques représenteraient près de 60 pour cent de la population totale du Golfe et un pourcentage largement plus élevé que la population active (7).
Généralement célibataires, originaires principalement de l’Inde, du Pakistan, du Sri Lanka, des Philippines et du Bangladesh, et, à ce titre, supposés être apolitiques en tout cas nullement impliqués par les conflits interarabes, ils représentent environ 20 % de la population en Oman, un tiers à Bahreïn et en Arabie Saoudite, deux tiers au Koweït et au Qatar, qui y subissent de plus en plus les pressions d’organisations internationales, notamment des Organisations non gouvernementales telles Human Rights Watch ou l’Organisation internationale du travail (OIT), en vue d’une amélioration des conditions de travail particulièrement déplorables des immigrés asiatiques. La principale hantise des dirigeants du Golfe est que ces travailleurs étrangers puissent un jour revendiquer la nationalité de leur pays d’accueil. Un véritable casse-tête pour les princes du pétrole qui ne peuvent se dispenser de la main-d’œuvre étrangère s’ils veulent assurer la croissance économique, mais qui se refusent à leur accorder néanmoins la nationalité au risque de dénaturer le caractère arabe des pétromonarchies. Une solution serait de substituer la main d’oeuvre arabe à la main d’oeuvre asiatique et sa naturalisation conséquente, mais, dans une telle hypothèse, le risque d’une contamination politique de la main d’œuvre arabe pèserait d’un plus grand poids sur la stabilité des régimes pétromonarchiques. Au-delà de cet aléa, la main d’œuvre arabe est l’otage des conflits interarabes, Le Koweït a expulsé près de cinq cent mille Palestiniens en 1990, de même qu’Abou Dhabi, pour châtier Yasser Arafat, chef de l’Organisation de Libération de la Palestine, pour avoir privilégié la médiation plutôt que la confrontation entre l’Irak et le Koweït lors de l’invasion irakienne de la principauté en Août 1990 et l’Arabie saoudite en avait fait de même avec près d’un million de Yéménites en représailles à une position identique du président Ali Abdallah Saleh.
Références
1-«L’opulence financière incite le Golfe à la diversification» -par Hassan Chakrani, in le quotidien libanais «Al-Akhbar» du 23 juillet 2008
2-cf le Monde 14 juin 2006: Le nouveau recyclage des pétrodollars par Eric le Boucher
3- Les pétrodollars à l’assaut du football et du cinéma. Le Monde.fr du 3 septembre 20084- Le nombre des personnes disposant de plus d’un million de dollars d’actifs financiers, hors résidence principale, a franchi la barre de dix millions en 2007 et le classement des multimillionnaires par zone géographique s’établissait comme suit, en 2007: Afrique (1000, en augmentation de 200 par rapport à 2006), Moyen orient (1.500 soit une augmentation de 200 en un an ), Amérique latine (6.200 contre 4.200 en 2006), Europe (10.650 contre 9.400 en 2006), Amérique du nord (11.700 contre 11.200 en 2006 et pour la première fois dans l’histoire le nombre des multimillionnaires à Moscou (74) dépasse celui de New York (71);
4-cf Stefen Theil (Newsweek) et Margaret Colsen (Wall Street Journal) in Courrier international N° 932 du 11 au 17 septembre 2008.
5-Editorial de Abdel Bari Atwane cf «Al Qods al-Arabi», journal transnational arabe paraissant à Londres, en date du 19 avril 2008
6-«La limitation du séjour des étrangers dans le Golfe, un coup fatal à la croissance», cf le journal Al-Ittihad d‘Abou Dhabi en date du 2 Août 2006
7- «Monarchies du Golfe, les micro-états de la péninsule arabique», ouvrage collectif dirigé par Rémy Leveau et Fréderic Charillon, in Documentation Française N° 5217, juin 2005.