L’Egypte dans la tourmente islamiste
20 ème tentative d’attentat contre Moubarak en 14 ans de pouvoir 60 dirigeants islamiques résident en Europe dont 15 y…
- 20 ème tentative d’attentat contre Moubarak en 14 ans de pouvoir
- 60 dirigeants islamiques résident en Europe dont 15 y disposent du statut de «réfugié politique»
- Transmission à Interpol de 14 dossiers d’Islamistes.
L’Egypte a célébré le 23 juillet le 43ème anniversaire de l’abolition de la Monarchie dans un climat empoisonné par la dimension islamique de la contestation populaire qui menace de gangrener les principaux rouages de l’Etat comme en témoigne la tentative d’attentat contre le Président Hosni Moubarak, le rétablissement du crime d’apostasie par la justice égyptienne et la promulgation d’un nouveau code restrictif de la presse égyptienne.
Un mois après l’attentat anti-Moubarak, le 20ème du genre, à l’occasion du sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), Le Caire, passant à l’offensive, a entrepris une guerre à outrance contre les chefs de file des formations islamistes ayant revendiqué la responsabilité de cet acte. Il a décidé, d’autre part, de développer sa coopération avec les pays alliés en butte à une identique hostilité islamique, notamment l’Algérie.
Selon des indications recueillies tant auprès de Me Mountassar Zayyat, avocat des Islamistes, qu’auprès du colonel Siraj Ar-Roubi, Directeur de la branche égyptienne d’Interpol, l’Egypte a d’ores et déjà obtenu notamment des pays arabes l’extradition de 120 personnes recherchées par la justice. Elle s’emploierait à obtenir l’extradition d’Islamistes égyptiens réfugiés en Afghanistan ou en Europe occidentale. Une liste d’Islamistes égyptiens réclamés par Le Caire a été remise en personne au Président afghan Bourhan Eddine Rabbani à l’occasion de sa récente visite en Egypte. Ces islamistes égyptiens bénéficieraient du soutien de M.Goulb Eddine Hekmayar, chef de la fraction rivale afghane pro-saoudienne.
La requête égyptienne auprès de Kaboul intervient sur fond de rivalités entre l’Arabie saoudite et l’Egypte pour le contrôle d’un des fiefs de l’Islam asiatique: l’Université islamique d’Islamabad au Pakistan. Ryad qui finance cette institution à raison d’un budget de 750.000 dollars par an, souhaiterait y nommer un Recteur qui serait à sa dévotion, lui permettant ainsi de superviser la production de la jurisprudence de cette université, qui constitue avec le centre théologique de Lahore l’une des plus fécondes sources de jurisprudence du Monde musulman, très loin devant «Al-Azhar» (Egypte) et la Monarchie Wahabite. L’Egypte est soucieuse de disposer d’alliés régionaux sur l‘autre versant du Monde musulman en mesure de servir de prolongement aux thèses conformistes de l’Université d’Al-Azhar. Elle a neutralisé la tentative saoudienne en doublant la mise, proposant une subvention financière annuelle de 1,5 millions de dollars, obtenant ainsi le maintien à son poste du Recteur.
Quant à l’Europe, Soixante dirigeants islamistes y résident dont quinze disposent du statut de «réfugié politique» Selon leur avocat, ils seraient soumis à des pressions de la part des pays hôtes afin qu’ils mettent une sourdine à leurs activités. Tel serait le cas notamment de Talaat Fouad Kassem. Porte-parole des mouvements islamistes en Europe, Talaat Fouad Kassem qui a obtenu l’asile politique au Danemark, a dû mettre en veilleuse les activités de son bureau à Copenhague à la suite de démarches pressantes du gouvernement danois lui faisant redouter le retrait de son statut de réfugié politique. Deux autres dirigeants islamistes -Hani al-Sibaï (Norvège) et Adel Abdel Majid (Grande Bretagne)- bénéficient de l’asile politique.
L’Egypte aurait transmis à Interpol le dossier de quatorze personnes dont certaines ont été condamnées par contumace et dont elle souhaiterait l’extradition. Parmi les personnes réclamées figurent:
1-Aymane al-Zawahiri, commandeur des groupements islamistes en Europe. Il réside en Suisse. Mis en cause dans des activités subversives du groupe islamiste «Al-Awdah » (Le Retour), il ne fait toutefois l’objet d’aucune condamnation. Adhérant dans les années 1980 à la formation «Al-Jihad», il avait été condamné à 3 ans de prison dans l’affaire de l’assaut de la tribune présidentielle lors de l’assassinat du président égyptien Anouar el- Sadate, en octobre 1981. A sa sortie de prison, il a séjourné en Afghanistan avant de se rendre en Europe.
2-Talaat Fouad Kassem, déjà cité. Porte-parole de mouvements islamistes en Europe, il est, à ce titre, chargé de la coordination des activités des divers responsables et de la transmission des consignes, des instructions et des subventions entre l’Europe et les militants de base en Egypte. Condamné à 7 ans de prison au moment de l’assassinat de Sadate, il a été le premier à rejoindre les rangs des combattants islamistes afghans où il s’est distingué au sein des escadrons de la mort dans des opérations de guérilla anti-soviétique. Avant le Danemark, il était responsable des groupements islamistes à Peshawar (Pakistan), point de transit des Moudjahidine vers l’Afghanistan.
3-Mohamad Chawki al-Islambouli, frère du meurtier de Sadate, Khaled al-Islambouli. Innocenté lors du procès de l’assassinat du chef de l’Etat égyptien, il a rallié les rangs des combattants anti-israéliens au sud-Liban avant de se rendre à Peshawar. Résidant à Kaboul, Chawkat al-islambouli a été condamné par contumace dans le procès des «égypto-afghans».
Parallèlement aux efforts internationaux, l’Egypte a entrepris une vaste campagne de ratissage des milieux islamistes au Caire et à l’intérieur du pays, comparable par son ampleur à celle lancée à la suite de l’assassinat du Président Sadate le 6 octobre 1981. Une opération destinée à «éradiquer» les islamistes égyptiens à la suite de la recrudescence de la violence anti-gouvernementale.
Depuis son arrivée au pouvoir, il y a quatorze ans, le Président Moubarak a dû faire face à une vingtaine d’attentats dont les plus célèbres ont été, en 1993, l’attaque de Sidi Barani contre le convoi présidentiel alors que M. Moubarak se rendait par la route en Libye pour rencontrer le colonel Kadhafi, et la seconde, en 1994, la tentative, aux Etats-Unis qui avait entraîné la mise en cause du Cheikh Omar Abdel Rahman, chef des intégristes égyptien en exil sur le territoire américain.
La chasse aux islamistes égyptiens s’est accompagnée d’une montée de la pression sur le Soudan qui a été accusé de servir de base arrière aux intégristes arabes, d’une part, d’un renforcement de la coopération avec l’Algérie, d’autre part, un pays qui est en butte aux mêmes difficultés. Rendu responsable de l’islamisation en Algérie par le biais des instructeurs arabophones égyptiens dépêchés dans ce pays au moment de l’indépendance, Le Caire aurait offert ses services à Alger dans le cadre de la lutte anti-intégriste. L’Egypte aurait fourni équipements et munitions à l’Algérie, assurant la maintenance du matériel soviétique le fournisseur commun des deux pays du temps de la guerre froide.
Quant au Soudan, il est accusé d’être l’instigateur de l’attentat. Le Président Moubarak dissimule mal sa volonté d’en découdre avec son voisin.
Mais la revendication par les islamistes égyptiens de la responsabilité de l’attentat anti-Moubarak a privé le chef de l’Etat égyptien d’un argument de poids pour ce qui est de la justification d’une expédition punitive. Les vieilles figures soudanaises réfugiées au Caire, telles le Général Gaafar al_Nimeiry, ancien président soudanais, un des artisans de l’exode des juifs Ethiopiens vers Israêl, ainsi que M.Ahmad al-Mirghani, ancien président du conseil présidentiel (la direction collégiale soudanaise), ont été sorties des oubliettes et mobilisées pour payer leur tribut d’hospitalité à leur hôte égyptien, fustigeant leurs successeurs soudanais. Mais les bruits de bottes entendus au Caire n’ont pas encore dégénéré en conflit armé.
Des proches conseillers du président égyptien, notamment M.Oussama el Baz, se sont sans doute rendu compte que la dénonciation du «péril extérieur» ne saurait tenir lieu de politique, ni gommer les profondes disparités sociales et les déséquilibres structurels de l’économie égyptienne à l’origine du malaise égyptien. l’Egypte ne pouvait en tout état de cause s’offrir le luxe d’une guerre sur trois fronts : une guerre intérieure contre les islamistes, une guerre externe contre le Soudan et une guerre intestine entre Egyptiens et Soudanais, voire même entre Chrétiens et Musulmans. Un million de Soudanais sont réfugiés en Egypte et près d’un million y séjournent temporairement. Dans une situation de pénurie, ces candidats à l’emploi sont autant de concurrents à la main d’œuvre égyptienne et pourraient en cas de crise servir d’exutoire à l’exacerbation égyptienne, tout comme les touristes étrangers, les Coptes égyptiens ou les Chrétiens du sud Soudan, réfugiés eux aussi en grand nombre au Caire.
René Naba – Al Moharrer, 24 juillet 1995