Friday, April 19, 2024
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Musharraf, un casse tête juridico-politique

Un casse tête juridico-politique qui place le Pakistan et les Etats-Unis face à leurs propres contradictions. Un double attentat, jeudi…

By René Naba , in Pakistan Portrait , at 14 octobre 2007

Un casse tête juridico-politique qui place le Pakistan et les Etats-Unis face à leurs propres contradictions.

Un double attentat, jeudi vers minuit à Karachi, contre le cortège qui accompagnait Benazir Bhutto au mausolée d’Ali Jinnah, le fondateur du Pakistan, a fait, selon les chiffres officiels, 133 morts et 290 blessés. Les 20 000 membres des forces de sécurité déployées pour l’accueil triomphal de Benazir n’ont apparemment pas fait preuve d’une très grande vigilance.

Sauf contretemps, Benazir Bhutto, ancien premier ministre du Pakistan, l’enfant chérie des Américains et l’un des artisans de l’arrivée au pouvoir des Taliban à Kaboul, rentre au Pakistan, le 18 octobre, au terme de dix ans d’exil à Doubaï et à Londres.

L’héritière de la dynastie Bhutto, seule et unique femme à avoir diriger une République Islamique, le Pakistan, de surcroît unique puissance nucléaire du Monde musulman, devrait prendre part à la bataille législative, début janvier, dans une opération parrainée par les Américains visant à renflouer le Président Pervez Moucharraf, en perte de vitesse, et à restaurer une apparence de démocratie dans un pays gangrené par la corruption et la montée en puissance des Islamistes.

Benazir Bhutto, qui a dirigé le pays à deux reprises, de 1988 à 1990, puis de 1993 à 1996. est la présidente du «Pakistan People Party», l’une des principales formations politiques de son pays, fondé par son père, le charismatique Zulficar Ali Bhutto, un nationaliste fougueux, ancien premier ministre d’une démocratie autoritaire au Pakistan, destitué par le général Zia Ul-Haq et condamné à mort par pendaison.

Pour prix de sa participation à ce simulacre électoral, Benazir Bhutto se verrait confier les responsabilités de chef de gouvernement.

En prévision de ce retour salvateur tant pour les Etats-Unis que pour leur protégé, le président pakistanais a signé vendredi 5 octobre un « décret de réconciliation » ouvrant la voie à un accord de partage du pouvoir avec l’ancien Premier ministre en exil. Le décret prévoit d’amnistier plusieurs personnalités politiques accusées de divers crimes et délits entre 1988 et 1999, dont Mme Bhutto, poursuivie pour des faits de corruption quand elle a dirigé le pays à deux reprises, de 1988 à 1990 et de 1993 à 1996.

Le lendemain de ce décret de réconciliation, le Général Musharraf remportait, sans surprise, l’élection présidentielle qui se déroule au Pakistan au suffrage indirect. Mais la validation de son élection demeurait tributaire d’un jugement de la Cour suprême, dont le Président le juge Chaudry, un homme de grande intégrité, est un farouche opposant aux dérives totalitaires du chef de l’Etat pakistanais.

M. Musharraf, qui fait face à une violente contestation depuis six mois, a remporté 384 des 702 voix du collège électoral, soit 55% des voix. Mais près de 30% d’élus du collège membres d’une coalition de l’opposition avaient démissionné de toutes les assemblées pour protester contre la candidature du Général, parvenu au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat mené sans effusion de sang il y a huit ans.

Or, même massivement vainqueur dans les urnes, le Général-Président pourrait être juridiquement disqualifié. L’examen de la validité du processus électoral commencera en effet à partir du 17 octobre.

M. Musharraf a promis d’abandonner son poste de chef d’état-major des armées, s’il était réélu, considérant que la Constitution ne lui imposait pas de le faire avant la présidentielle, comme le fait valoir l’opposition devant la Cour suprême. Les Etats-Unis et le Pakistan font face à un véritable casse tête juridico politique.

La renonciation du général à ses fonctions militaires pourrait le fragiliser auprès de l’armée, épine dorsale du régime, son invalidation par le Cour suprême ouvrir la voie à la proclamation de la loi martiale, et même sa validation par la juridiction suprême ne laverait pas son élection des soupçons de manipulations, relançant la contestation contre son gouvernement et son protecteur américain…autant d’hypothèses qui placent l’Amérique de même que le Pakistan face à leurs contradictions.