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Interview Sarkophage: Sarkozy an 1

Interview pour la revue bimestrielle Sarkophage • Le sarkozysme signe le ralliement aux thèses des néo-conservateurs américains, la défaite du…

By René Naba , in Entretien France , at 18 mai 2008

Interview pour la revue bimestrielle Sarkophage

• Le sarkozysme signe le ralliement aux thèses des néo-conservateurs américains, la défaite du gaullisme et le triomphe du néo-pétainisme.
• La France est utilitairement pro-arabe, mais subtantiellement pro-israélienne. Que les Israéliens se méfient du zèle intempestif de leurs amis français qui masquent parfois d’inavouables desseins.

Nicolas Sarkozy célèbre le 17 Mai 2008 le premier anniversaire de son entrée en fonction en sa qualité de VI me Président de la Vme République Française, un évènement auquel il souhaite donner un éclat particulier en le jumelant avec un voyage officiel en Israël à l’occasion du 60eme anniversaire de la déclaration d’indépendance de l’Etat hébreu.
Programmé à l’apogée de sa carrière pour constituer une apothéose à son pouvoir, le voyage de ce Président de «sang mêlé» dans son pays de prédilection devrait intervenir en juin, au périgée de sa popularité, alors que le premier ministre israélien est éclaboussé par des scandales en rapport avec l’argent illicite.
Le voyage de M. Sarkozy en Israël perd de ce fait de son éclat au point d’apparaître comme encombrant tant pour le pays hôte que pour le visiteur, voire même un handicap pour la diplomatie du meilleur ami français d’Israël.

LS: Quel bilan tirez vous de l’évolution de la diplomatie française un an après l’élection de Nicolas Sarkozy ? S’agit-il simplement d’un ralliement aux thèses atlantistes classiques ou à celles des néo-conservateurs américains?

RN: Les Français ont joué à la roulette russe à l’élection présidentielle de Mai 2007: Nicolas Sarkozy a gagné, la France a perdu. Le délire narcissique dans lequel elle a baigné pendant un an débouche brutalement sur la plus grande mystification politique de l’Histoire de la V me République. Les slogans de campagne se sont révélés être des «leurres» tant sur le plan interne que sur le plan externe.
-Sur le plan interne, par «travailler plus pour gagner plus», il fallait comprendre «travailler plus pour penser moins». Le slogan était mensonger car les caisses de l’Etat étaient vides et Nicolas Sarkozy le savait pertinemment. L’unique catégorie sociale qui a bénéficié de cette promesse est le groupe rentier des détenteurs de capitaux, les grandes fortunes, ceux qui se lèvent tard, désormais à l’abri avec leur «bouclier fiscal».Une telle mesure signe l’appartenance oligarchique du pouvoir.

Le sarkozysme signe aussi la défaite du gaullisme et le triomphe du néo-pétainisme dont les deux plus beaux fleurons sont Rachida Dati et Rama Yade, les cautions exogènes des lois répressives du pistage génétique, de l’immigration choisie et de l’exclusion malodorante. En se réclamant du gaullisme et en siphonnant les thèses de l’extrême droite xénophobe, le sarkozysme a purgé en fait la querelle de légitimité par le dépassement syncrétique des deux grandes familles de la droite française, dont le point d’exacerbation avait été atteint lors de la présidentielle de 2002. La présidentielle de 2002 avait placé les Français devant l’infamant dilemme de choisir entre un «escroc» et un «facho», deux septuagénaires vétérans politiques de l’époque de la guerre froide occupant le devant de la scène depuis près de quarante ans, les deux candidats les plus âgés, les plus fortunés et les plus décriés de la compétition, mutuellement confortés dans une campagne sécuritaire, l’un, Jacques Chirac, héritier d’un gaullisme dévoyé dans l’affairisme le plus débridé, l’autre, Jean Marie Le Pen, héritier d’un vichysme sublimé par un ancien tortionnaire de la Guerre d’Algérie, le premier, auteur d’une formule chauvine d’une démagogie achevée sur les «bruits et les odeurs» des familles immigrées qui ponctionnent la sécurité sociale par leur prolificité génésique, le second, auteur d’une formule d’une abomination absolue sur le «Durafour crématoire (…) point de détail de l’Histoire». Le sarkozysme refait l’unité de la droite sur la base des thèses de l’extrême droite pétainiste et l’apparence de la droite gaulliste.

LS: A quel besoin répond cette nouvelle pédagogie politique qu’il veut instaurer? S’agit-il simplement d’une rupture avec ce qu’il nomme l’idéologie de la repentance ?

RN: Nicolas Sarkozy procède à une réécriture autoritaire de l’histoire. De par l’impulsion et la signification qu’il tire de certains faits historiques, il emprunte au registre de la falsification. C’est à proprement parler un falsificateur. Le détournement de mémoire et la captation d’héritage auxquels il a procédé dans l’affaire Guy Môcquet ne sauraient occulter la réalité. Il fallait certes exalter le patriotisme et l‘esprit de sacrifice du jeune résistant communiste, mais cet exercice pédagogique aurait rempli sa fonction thérapeutique si le président avait dénoncé ses bourreaux, c’est-à-dire .la police, le socle de son pouvoir sécuritaire, l’instrument de sa politique répressive, qui fut en son temps l’instrument de la politique vichyste, qu’il choit et honore en toute circonstance, celle-la même qui était déjà à l’oeuvre dans l’affaire Guy Môcquet, de la même manière qu’elle était à l’œuvre dans la rafle des enfants juifs et dans la déportation des milliers de français de confession juive. Il incombait au Président de la France, cela aurait été sa grandeur, non de se débarrasser de la paille qui obstrue son regard (la repentance), mais d’extirper la poutre qui frappe les Français de cécité politique, propice à toutes les dérives hideuses. L’édification des générations futures ne doit pas se faire sur le mensonge, la falsification, la connivence, la démagogie et l’approximation.

LS: Sur le plan externe, en quoi a consisté la rupture ?

RN: La rupture prônée par Sarkozy s’est réduite non à un ralliement aux thèses atlantistes, ce qui peut se concevoir pour un pays occidental, mais à une vassalisation aux thèses néo-conservatrices, c’est à dire le courant de pensée le plus extrême de la droite conservatrice de l’ensemble occidental. Cela est manifeste sur le plan du conflit israélo-arabe. Nicolas Sarkozy a fermé la parenthèse gaulliste renvoyant la France à la séquence antérieure celle de la connivence des puissances coloniales de l’époque, la France, Grande Bretagne avec Israël, contre le monde arabe particulièrement les deux fleurons du nationalisme arabe contemporain notamment, l’Egypte (expédition de Suez 1956) et l’Algérie (guerre de libération nationale 1956-1962).
Inviter le président israélien Shimon Pérès en visite d’Etat en France dans l’entre deux tours des élections municipales est une manœuvre vile, veule et méprisable dans la mesure où elle tendait dans l’ordre subliminal à instrumentaliser le judaïsme institutionnel français dans une consultation électorale interne à la France. Programmée après les élections municipales, elle n’aurait pas nourri les mêmes suspicions et les mêmes préventions. Que les Israéliens se méfient du zèle parfois intempestif de leurs amis français, un zèle qui masque parfois d’inavouables desseins. Troquer l’antisémitisme récurrent de la société française, qui a préexisté à l’arrivée des premiers arabes et musulmans en France, par une arabophobie de bon aloi, ne grandit ni l’auteur de cette diversion, ni le pays qu’il gouverne, ni le peuple qui le cautionne.

Nicolas Sarkozy porte la preuve éclatante que la France est utilitairement pro-arabe, mais subtantiellement pro-israélienne. Sur ce point, et sur ce point uniquement, il doit être assuré de notre gratitude éternelle car il fait la démonstration que la spécificité française dans le domaine internationale est un leurre, le cache-misère à une relégation diplomatique effective dans la gestion des affaires du monde. Les coups de menton répétitifs de Nicolas Sarkozy relève de la mystification. Bomber le torse devant le CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France) pour annoncer qu’il ne serrera jamais la main de quiconque ne reconnaît pas Israël relève de la fabulation et de l’affabulation lui qui a parcouru les premiers mois de son mandat une dizaine de pays arabes dont la quasi-totalité ne reconnaissent pas l’Etat hébreu, pas plus l’Algérie que l’Arabie saoudite, que les principautés pétrolières du Golfe ou la Libye dont le président, Mouammar al- Kadhafi, a même été invité en visite officielle en France.
Il est déplorable que la presse française n’ait pas relève ses incohérences, pas plus qu’elle n’a relevé l’incongruité du fait que M. Sarkozy se souciait de vouloir enseigner la Shoah dans les classes enfantines françaises, au moment même où un responsable militaire israélien, le vice ministre de la défense, se proposait d’infliger une Shoah aux Palestiniens de Gaza sans que ce fait, non plus, n’ait suscité le moindre commentaire de la presse française. M.Sarkozy fabule pour quiconque connaît les difficultés rencontrées par la diplomatie française pour organiser, 13 juillet 2008 à Paris, un sommet des pays méditerranéens, c’est-à-dire un sommet regroupant Israël, la Libye, l’Algérie mais aussi et surtout la Syrie qui entretient des relatons exécrables avec la France.

LS: la nouvelle diplomatie Sarkozy-Kouchner n’est donc pas le ralliement aux thèses occidentales. Elle marque l’importation en France du point de vue néo-conservateur américain. Que peut-on attendre dans les prochaines années ?

RN: Il ne faut pas pleurer sur le lait versé. Il aurait mieux valu entendre les mises en garde qui n’ont pourtant pas manqué.
Nicolas Sarkozy a gagné et la France a perdu. Et les plus démunis supportent la part la plus lourde du fardeau: Du cadeau fiscal, aux franchises médicales, à la suppression du remboursement des frais d’optique, à la tentative de la suppression de la carte «famille nombreuse», au renchérissement des frais de transport et du gaz. Pas une mesure compensatoire à l’érosion de leur pouvoir d’achat, alors qu’il s’agissait d’un fort slogan du programme électoral de Nicolas Sarkozy. C’est cela le nouvel humanisme présenté comme étant le sarkozisme.
Au XX me siècle, l’Empire avec son marché captif et son contingent de basanés a supplée aux défaillances de la Métropole, tant sur le plan militaire qu’économique. (Songez que la dernière grande victoire militaire française remonte à deux siècles, Austerlitz 1805, puis plus rien, sinon une série de désastres militaires (Waterloo, Fachoda, Sedan). La France ne renouera avec la victoire en 1918 qu’avec le concours massif des alliés certes mais aussi des peuples basanés (500.000 combattants de l’empire français), soit la population de Marseille intra-muros. C’est dire à quoi tient le mythe de la grandeur française.
Au XXI me siècle, pas plus d’Empire que de chasse gardée, la France devra payer au plus fort le prix de ses dérives imputables au premier chef à la posture protofasciste inhérente à un pan de la société française dont Nicolas Sarkozy en est l’excroissance politique et l’illustration médiatique. Un prix fort avec un déficit des comptes publics de deux mille milliards d’euro, un déficit chronique de son commerce extérieur, un chômage structurel endémique, une dislocation de son tissu social une marginalisation croissante de ses points d’ancrage traditionnels, le Monde arabe et l’Afrique. Payer au prix fort le délire narcissique qui s’est emparé d’elle à l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française.

Sarkophage est dirigée par le philosophe Paul Ariès, animateur d’un mouvement refondateur de la gauche alternative à la social-démocratie du Parti socialiste français.

Le sarkophage n°6 paraitra le 17 mai 2008 avec des articles de Danielle Mitterrand, Jacques Cossart, Paul Violet.

Comments


  • Je tiens a vous remercier pour la justesse de votre analyse,elle m’aide a mieux appréhender la situation politico militaire autour de la méditerranée et du moyen orient.Merci

  • Merci énormément pour vos analyses qui sont objectives et courageuses. Continuez dans cette voie, car il y a malheureusement trop d’injustice dans le monde et il y en a de plus en plus en France!!

  • La liberté d’expression est censurée en France, les journalistes n’ont pas le courage d’accomplir leur travail conscienment pour ne pas perdre leur poste! Pourtant on trouve un journaliste qui n’a pas peur ni de chômage ni de persécution, ses analyses sur la politique intérieure et extérieure de la France sont très objectifs!

    Il croit à son métier et son rôle de transmettre la vérité qui peut être utile pour l’avenir des sociétés humains
    Merci à vous et bon courage

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