Thursday, March 28, 2024
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Guy Môquet, un détournement de mémoire, une captation d’héritage

L’instruction présidentielle prescrivant la lecture, le 22 octobre, dans toutes les écoles de France, de la lettre de Guy Môquet…

By René Naba , in Editorial France , at 20 octobre 2007

L’instruction présidentielle prescrivant la lecture, le 22 octobre, dans toutes les écoles de France, de la lettre de Guy Môquet à ses parents, avant son exécution, relève du détournement de mémoire et de la captation d’héritage.

Nicolas Sarkozy a été pendant près de vingt ans maire de la banlieue huppée de Neuilly sans avoir jamais songé à baptiser une rue du nom de ses illustres personnalités de gauche qu’il invoque, tel un totem, à tout moment depuis sa campagne électorale. Pas plus Jean Jaurès que Guy Môquet n’ y figurent mais Maurice Barrès, chantre de la droite conservatrice, si.

Un tel comportement s’apparente à une imposture lorsque l’on songe que l’une des premières mesures du nouveau quinquennat post-gaulliste aura été le «bouclier fiscal», une mesure qui bénéficie quasi-exclusivement aux privilégiés, ainsi que le pistage génétique des migrants, un dispositif qui renvoie aux pires pratiques du totalitarisme.

La France a baigné depuis un an dans un narcissisme entretenu par son nouveau président, mais à l’instar d’un couple qui se fracasse, le miroir se brise sur les dures réalités des contraintes de la vie et la dissipation des mirages entretenus à coup de promesses non tenues. Et «Magic Sarkozy» se révèlera être rétrospectivement une Fée Carabosse.

Saluer comme l’a fait le Président de la République la mémoire de Guy Môquet, ce jeune communiste français fusillé durant la Deuxième Guerre Mondiale (1939-1945) par les Allemands, est un acte de justice. Mais cela aurait été pédagogiquement exemplaire si cet hommage s’était accompagné de la condamnation des bourreaux, c’est-à-dire cette police française zélée qui a livré à la mort un compatriote, au seul prétexte qu’il était un patriote. C’était en cela que le supplice de Guy Môquet eut été exemplaire des dérives infâmantes et odieuses de l’appareil étatique. Cette même police a aussi été maître d’œuvre de la rafle du Vel’ d’Hiv et n’a jamais été condamnée pour cela. Une prophylaxie sociale aurait commandé d’exalter la lumière de la France, sans négliger de stigmatiser sa part d’ombre. Mais vous voyez Nicolas Sarkozy condamner la police, le socle de son pouvoir sécuritaire ?

Il en est de même d’un autre subterfuge: «Le secrétariat d’État aux affaires étrangères chargé des Droits de l’homme» est un borborygme, dans la mesure où Les Droits de l’Homme sont en principe universels, sauf à considérer que la France ne commet, pour sa part, aucune violation des Droits de l’homme. L’intitulé des fonctions de Mme Rama Yade-Zimet signifie sa mise à l’écart des violations françaises qui interviendraient sur le sol national (charters de la honte, sans-papiers, etc.). Il lui sera donc loisible de dénoncer tous les pays du monde, sauf le sien. Voila en clair l’intitulé de sa mission.

Rama Yade sera particulièrement sous observation. Devra-t-elle limiter sa défense des Droits de l’homme aux seules instances internationales et donc ne disposer d’aucun droit de regard sur les violations des Droits de l’Homme en France ?

Si tel devrait être la cas, elle risque de servir d’alibi pour la bonne conscience chronique de la mauvaise conscience du pouvoir français.

Qu’elle garde à l’esprit la malheureuse expérience de son prestigieux aîné: le général Colin Powell, ancien chef d’État-major interarmées des États Unis, premier secrétaire d’État afro-américain de l’Histoire, qui s’est couvert de ridicule avec son éprouvette remplie de poudre de perlimpinpin brandie devant le Conseil de sécurité de l’ONU pour justifier l’invasion américaine de l’Irak. Il est à espérer que Rama Yade ne sera pas une nouvelle «Uncle Ben’s» à la sauce française…

Cela étant dit, il est à espérer aussi que ces nouvelles promues ne se révèlent pas être un gadget exotique visant à masquer une xénophobie d’État, comme en témoignent les rodomontades du nouveau président français et la création d’un Ministère de l’Identité nationale et de l’Intégration. Relevons au passage que Fadela Amara, qui rejetait haut et fort toute sujétion à la tête de son mouvement Ni putes, ni soumises, s’est révélée être très soumise aux sirènes du pouvoir de droite, quand bien même elle trouve «dégueulasse» le test ADN sur les postulants à la migration en France. Il est des faiblesses coupables voire mortelles. Pour la crédibilité de nos engagements, gardons présent à l’esprit l’impérieuse nécessité de donner toujours l’exemple d’une « éthique de conviction ». L’exact contraire, en somme, de l’opportunisme d’occasion.

«Égorger les moutons dans la bagnoire». Cette suspicion pèsera toujours, peu ou prou, sur les personnes d’origine arabe ou africaine du fait même de cette origine et du fait même de la volonté de M. Sarkozy, responsable au premier chef de la généralisation de ce cliché démagogique à vocation électoraliste. Mais ce cliché va lui coller à la peau, longtemps après son départ du pouvoir, de la même manière que «le bruit et l’odeur» des immigrés ont durablement plombé son prédécesseur Jacques Chirac, obérant son discours humaniste.

Certes, par rapport à la séquence antérieure, la promotion de Rachida Dati, de Rama Yade et de Fadela Amara constitue un léger mieux par rapport à Tokia Saïfi, qui avait bénéficié d’un strapontin et d’une aide parcimonieuse dans le premier gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2002. De par son extrême discrétion, la modicité de sa fonction et le peu de considération accordée à son département, elle eut droit au titre de « premier titulaire évanescent du ministère du Développement durable ». Mais il est à craindre que ce gouvernement multicolore n’apparaisse à l’usage comme un conglomérat de personnalités bariolées sans grande expérience, sans véritable stature politique, comme un gadget médiatique, un assortiment pour plateaux de télévision.

«Les murmures de Yad Vashem», qui dictent selon ses propres dires la conduite du nouveau président français, ne sauraient occulter les râles des suppliciés de Sétif (Algérie, mai 1945), de Thiaroye (Sénégal, décembre 1944), de Madagascar (1947) et du Cameroun (19955-1971), pas plus que la longue complainte contemporaine du peuple palestinien.
Les camps de concentration hitlériens ont abouti à la liquidation d’êtres humains du fait de leur origine ethnico-religieuse, de la même manière que l’esclavage et les zoos humains ont provoqué l’anéantissement mental et physique d’êtres humains, transformés en cadavres vivants du seul fait de leur origine ethnico-religieuse. Les deux actes sont hautement condamnables.
Les deux doivent être condamnés et induire la même réparation. Il ne saurait y avoir une concurrence mémorielle. Cela relève de la dignité de l’espèce humaine et, à ce titre, cela est moralement non négociable.

Retour sur le discours fondateur de Sarko l’Africain

La prestation de M. Sarkozy lors de la première tournée africaine de sa présidence, en juillet dernier a été consternante. Et plus consternant encore le silence de la kyrielle des intellectuels qui participent de son aréopage. Et plus consternante enfin la satisfaction béate de sa plume, Henri Guaino, qui se propose de populariser la parole présidentielle par l’impression du pensum fondateur de «Sarkozy l’Africain».

Ce discours du Président Sarkozy renvoie à des stéréotypes coloniaux primaires et ses propos outranciers révèlent sa vision d’une «anthropologie raciste», selon l’admirable expression de Thomas Heams, maître de conférences en génétique à Paris (1) Ainsi donc l’Africain est figé dans la nostalgie. Ainsi donc, à l’instar des pédophiles, cela est «inné» chez eux, suggère le président. L’Africain, dit-il, «ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès… »

C’est vrai qu’il y a de la répétition chez l’Africain. La première fois c’était à Verdun en 1916, la deuxième fois à Monte-Cassino en 1944. Mais il y a aussi de la répétition chez les Français eux-mêmes. Il s’agit d’une répétition dans l’ingratitude, marquée par les massacres de Sétif (Alger), Thiaroye (Sénégal) et Madagascar.

Et cela ne relève pas de la répétition de ma part, mais de la réitération pour que cela soit définitivement ancré dans la conscience nationale française: la France est le seul pays au monde à avoir pratiqué une répression compulsive au sortir de la Deuxième Guerre mondiale à l’encontre de ses colonies, au moment où le Royaume-Uni accordait leur indépendance tant à l’Inde qu’au Pakistan…

M. Sarkozy soutient que la France n’est responsable ni de la corruption, ni de la dictature en Afrique. S’agit-il d’une méconnaissance de notre histoire nationale, ou plus simplement de mauvaise foi ? Le Président de la France semble ignorer l’existence de M. Jacques Foccart et des réseaux de la Françafrique. Il semble ignorer l’assassinat le 15 octobre 1960 à Genève de Félix Moumié, chef de la Résistance camerounaise, dont le prédecesseur Ruben Um Nyobé fut assassiné en septembre 1958 et le successeur Ernest Ouandié fut fusillé en 1971.

Il semble ignorer le supplice de Patrice Lumumba, Premier ministre charismatique du Congo indépendant, en 1961. Il semble ignorer le supplice de Mehdi Ben Barka, figure de proue de l’opposition marocaine et du Tiers-monde. Toutes ces personnalités ont été éliminées avec l’aide des réseaux gaullistes, l’ancêtre du parti de M. Sarkozy.

La Belgique, elle, a reconnu depuis belle lurette sa responsabilité morale dans les dérives de son système colonial. Mais la France, pour sa part, persiste à louvoyer, quand bien même elle a été grandement bénéficiaire de son aventure coloniale tant en termes économiques qu’en termes d’influence diplomatique dans le monde… Être grand, c’est assumer ses propres actes, c’est s’assumer sans fioritures. Il est à craindre que la France ait encore des progrès à faire dans ce domaine.

Il importe de ne pas banaliser l’infâme, mais d’établir une claire démarcation entre compromis et compromission. Faire travailler gauche et droite dans l’espace démocratique est une chose, dédouaner un personnage qui a érigé la xénophobie en principe de vie et programme de gouvernement en est une autre. Nicolas Sarkozy a phagocyté la thématique de l’idéologie du Front National, la vidant de sa substance et siphonnant du même coup l’électorat lepéniste. En recevant Jean-Marie Le Pen à l’Elysée, c’est en tant que vainqueur qu’il reçoit un vaincu sur son propre terrain, mais dans le même temps, il banalise sa thématique.

Le laxisme idéologique entretient la confusion mentale et justifie a posteriori tout le débauchage politique dont la vie française a offert le spectacle depuis la campagne présidentielle 2007 et l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Il y a des mutations qui retentissent comme des désertions. A défaut, la lutte des classes cède le pas à la lutte des places et cette dérive dévalorise le combat politique…

Références

1- « L’homme africain… », Retour sur le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar le 26 juillet dernier, par Thomas Heams, Libération, 2 Août 2007 : http://www.liberation.fr/rebonds/270247.FR.php

Comments


  • Bonsoir
    Je suis traductrice du réseau de Tlaxcala et je suis en train de traduire à l’Espagnol votre article « La référence à Guy Môquet, un détournement de mémoire, une captation d’héritage ». Je voudrais savoir si vous pourriez m’envoyer une note explicative sur M. Jacques Foccart et des réseaux de la Françafrique. Sinon, ce n’est pas grave, et on publiera la traduction après le weekend.

    C’est un article très intéressant. Merci bien, et à la prochaine

  • concernant la note sur la Françafrique, je pense, malheuresement, que l’usage du présent est plus approprié que l’imparfait. malgré les politiques de « rupture » pronées au sommet de l’état, on a un peu trop vu notre cher président au bras de ses confrères on ne peut plus démocrates (Bongo, Khadafi…) pour réellement espèrer la fin de cette « diplomatie parallèle ».

  • bonsoir Nuria

    merci pour votre peine,

    Jacques Foccart a été pendant quarante ans responsable des affaires africaines auprès de la présidence de la république française d’abord avec De gaulle, puis georges Pompidou, ensuite Giscard d’Estaing.
    Il a été degagé de ses responsabilités sous le socialiste François Mitterrand, puis est revenu s’occuper de ce dossier sous jacques Chirac.

    Il animait une sorte de « diplomatie parallèle »‘, en marge de la diplomatie officielle et faisait faire par des barbouzes « des coups de main », telle l’intervention française au Biafra, On le soupçonne d’avoir téléguide l’assassinat du dirigeant de l’opposition camerounaise Félix Mounie etc …

    La France-Afrique constitue le plus gros scandale des relations Franco-Africaine. Il reposait sur un pacte tacite de corruption des elites entre la France et les elites africaines.

    La france investiait en Afrique. les dirigeants africains (Mobutu, Bongo, Eyadema Houphouet Boigny etc …) touchaient des commissions pour octroyer les marchés aux entreprises françaises. en echange les dirigeants africains financaient les partis politiques français pour s’assurer une protection en cas de coup d’état.

    A bientot.

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