Thursday, March 28, 2024
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Christian Blanc et la Middle East Airlines

Un cigare fatal à son destin Le cigare aura été fatal à son destin. Le cigare lui a sauvé la…

By René Naba , in France Portrait , at 21 novembre 2010

Un cigare fatal à son destin

Le cigare aura été fatal à son destin. Le cigare lui a sauvé la vie. Le cigare signera sa chute politique.

Il se raconte qu’un certain matin de septembre 2001, Christian Blanc, alors président de la filiale française de Merrill Lynch, pris d’un soudain besoin de nicotine, sort de son hôtel, dans le World Trade Center pour fumer son premier cigare de la journée. Il était 9 heures du matin, le 11 septembre 2001. La première bouffée tirée, le ciel s’abattait sur le complexe. Neuf ans plus tard, une autre affaire de cigares le plombe, contraint à la démission du gouvernement français, le 4 juillet 2010, dans la foulée de la polémique suscitée par sa consommation abusive de Havane aux frais de contribuables.

Ancien socialiste de tendance rocardienne, l’homme épousera la gamme des sensibilités de l’échiquier politique français, devenant tour à tour chiraquien, puis centriste, enfin sarkozyste. Christian Blanc, qui a fait son entrée au gouvernement en mars 2008, en tant que secrétaire d’état chargé du Grand Paris, lâché par son camp, a donc dû prendre la porte, à la demande du chef de l’Etat. Ce n’est pas la première fois que Blanc, dont certains critiquent l’entêtement et le manque d’écoute, doit démissionner. En 1992, il avait quitté son poste de patron de la RATP, (régie autonome des transports parisiens) faute d’avoir obtenu un service minimum dans le métro les jours de grève, face au gouvernement de Pierre Bérégovoy. PDG d’Air France, il claque la porte en 1997, parce qu’il avait voulu privatiser l’entreprise contre l’avis du Premier ministre socialiste, Lionel Jospin, et de son ministre communiste des Transports, Jean-Claude Gayssot.

L’homme s’est aussi distingué au Liban du temps de son parachutage à la tête de la compagnie aérienne libanaise Middle East Airlines à Beyrouth.

Entre deux bouffées de Havane, l’homme sait tisser des liens qui survivent aux veloutés. Chiraquien, à la tête d’Air France, il atterrira, comme par hasard, après son débarquement d’Air France, sur une terre de mission, le Liban, chasse gardée du tandem Jacques Chirac Rafic Hariri, alors à l’apogée de sa puissance, avec pour mission de redynamiser l’aéroport de Beyrouth Khaldé, sinistré par la guerre civile, et la compagnie aérienne vedette de la flotte commerciale arabe, Middle East Airlines.

Un des principaux gisements d’emploi du pays, une des principales sources de revenus, l’aéroport de Beyrouth Khaldé, devenu depuis Aéroport Rafic Hariri, à la suite de l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais, est un lieu de trafic par destination et représente à ce titre un enjeu de taille.  Sa réhabilitation passera sans doute dans la chronique libanaise de la fin du XX me siècle comme un exemple achevé d’instrumentalisation de l’état au service d’intérêts privés, comme une vaste opération de spoliation organisée, à ciel ouvert. Projet grandiose au départ, sa réhabilitation sera l’une des opérations les plus controversées de l’ère Hariri par l’ampleur de ses dérives successives. Les modalités d’attribution des contrats de réfection de l’aéroport, tout comme la désignation des bénéficiaires des concessions de la zone franche constituent à cet égard une parfaite illustration de l’affermage arbitraire des services publics.

Fortement endommagé durant les hostilités, l’Aéroport de Beyrouth, théâtre de nombreux détournements d’avion, longtemps un des hauts lieux de la symbolique révolutionnaire du tiers-monde, a néanmoins réussi malgré les turbulences à tenir la dragée haute à ses concurrents. Au premier rang du classement aéroportuaire du Moyen-Orient pendant près de 30 ans, l’aéroport  peut, à juste titre, être considéré comme le poumon du Liban. Le chiffrage du projet estimé, en 1994, à 200 millions de dollars avait franchi la barre du milliard de dollars, en 1998, sans que l’on soit assuré avec certitude du coût définitif du projet.

Pour sa défense, Rafic Hariri indiquera que le coût global de la réhabilitation de l’Aéroport de Beyrouth, selon le schéma directeur établi par l’Aéroport de Paris, s’est élevé à 551 millions de dollars, un coût inférieur pour des travaux similaires à Bangkok, New York, Hongkong, Washington et Pékin, négligeant dans cette étude comparative l’équation de la main d’oeuvre libanaise extrêmement bon marché, les réquisitions d’office des terrains pour l’entreposage du matériel ou le désablonnage gracieux des plages pour la constitution de travaux de terrassement.

L’emprise sur les infrastructures au sol assurée par le biais de l’association Hochtief CCC, M. Hariri va se tourner vers le ciel pour une restructuration de l’aviation civile libanaise sous son égide et à son profit.  Il phagocytera dans un premier temps la compagnie de fret aérien, TMA (Trans Mediterranean Airlines), avant d’imposer la fusion entre les deux compagnies aériennes libanaises, TMA et MEA Middle East Airlines, les deux fleurons de l’aviation civile libanaise qui se sont distinguées, chacune dans sa spécialité, la première pour les activités cargo, la seconde pour le transport civil.

Longtemps dirigée par de prestigieux patrons d’entreprise, le très flegmatique Najib Alamuddine ou son infatigable successeur Assaad Nasr, «la Middle East», ainsi qu’elle est familièrement désignée, occupe une place à part dans le coeur des Libanais. La compagnie, dont les hôtesses étaient habillées par de grands couturiers libanais, constitue un symbole de la présence élégante du Liban à travers le monde. L’atterrissage de ces appareils dans les pays de la diaspora, au plus fort de la guerre du Liban, était salué par les expatriés comme la marque d’une espérance, la preuve de la capacité d’endurance du Liban et de sa survie. «Durant les dix sept années d’enfer, l’existence de la MEA n’a tenu qu’à la vaillance insensée de ses équipages et au courage démesuré de ses cadres et employés, qui ont porté à bout de bras le cadavre du Liban, en faisant croire au monde qu’il était vivant», déclarera M. Marwane Salha, membre du conseil d’administration, le 1er juin 1999, lors du vol inaugural concrétisant le nouvel accord d’alliance MEA Air France (6).

MEA représente une charge émotive et pour l’avoir négligé M. Hariri va se heurter à rudes parties. Assaad Nasr, ancien P.D.G. de la MEA, et Assaad Koteit, ancien secrétaire général de l’organisation internationale de l’aviation civile, déclineront l’offre de participer à un «comité de surveillance», dont l’objet officiel était de chapeauter les deux compagnies, mais qu’ils soupçonnaient de viser en fait à placer leur ancienne société sous le joug de l’équipe Hariri. Celui-ci n’aurait jamais pu parvenir à bout de la résistance de la MEA n’était-ce le retournement du président Elias Hraoui, en 1995. Le chef de l’état songeait à la reconduction de son mandat et le premier ministre à la fusion des deux compagnies. Le troc s’imposait donc pour des raisons personnelles, présentées comme étant d’impérieuses nécessités d’intérêt national. M. Hraoui a été reconduit dans ses fonctions et le conseil d’administration renouvelé de la MEA décréta la fusion avec TMA. La Banque Centrale, présidée par l’ancien courtier de M. Hariri, Riad Salameh, financera d’autorité sans faire appel aux autres souscripteurs une augmentation du capital de l’ordre de cent millions de dollars, s’imposant de fait comme l’actionnaire quasi-unique de la compagnie aérienne libanaise: 99 pour cent des actions pour la banque centrale contre 1% pour Air France.

La fusion TMA-MEA va donner le coup d’envoi à une privatisation déguisée des activités aéroportuaires, en collaboration avec «Aéroport de Paris» (ADP), qui s’associera avec les trois autres soumissionnaires: Le groupe hôtelier Albert Abela, concessionnaire de la restauration, le groupe saoudien Abou Jadayel, ainsi que MEA-TMA. Ce quatuor constituera un holding monopolisant la totalité des activités de maintenance de l’aéroport de Beyrouth, en lieu et place de la Middle East Airlines, qui en assurait la totalité des prestations (maintenance et réparation des appareils arabes et étrangers, le fret, le trafic passager, la maintenance du matériel roulant et du parc automobile).

En guise de bouquet final à ce feuilleton, l’homme de la privatisation avortée d’Air France, Christian Blanc, va être parachuté au sein du conseil d’administration de la Middle East Airlines et à la grande surprise du personnel libanais, le haut fonctionnaire français, au lieu d’oeuvrer au développement de son réseau international, va s’employer à filialiser la compagnie libanaise pour la placer en situation de complémentarité avec Air France.

Christian Blanc va opérer une subdivision du travail entre les deux compagnies, selon le mode colonial. Il confinera la libanaise au transport régional, limitant ses activités à la sphère Moyen-Orient, réservant à la française, le trafic noble, le trafic transcontinental à destination de l’Europe, des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie et de l’Afrique. Des pays qui constituent, comme nul ne l’ignore, d’importants points de la diaspora libanaise et à ce titre porteurs de trafic. Avec en prime, pour faire avaler la pilule amère, il propose le transfert d’escale de la Middle East d’Orly à Roissy.

Grand commis de l’Etat français, un des artisans du règlement du contentieux de la Nouvelle Calédonie, ancien patron de grandes entreprises publiques françaises, Christian Blanc jouit d’une considération certaine. Son rapport inspiré sans doute par des considérations de rentabilité et de compétitivité internationale, passe pour avoir ignoré la dimension humaine et psychologique du problème posé par la restructuration. A ce titre, il a été mal ressenti à Beyrouth par des employés fiers d’une compagnie internationale qui avait vaillamment survécu aux vicissitudes de la guerre et que l’on voulait transformer en manutentionnaire d’une compagnie régionale en retrait par rapport aux autres compagnies arabes à vocation internationale.

Au delà du débat sur le bien fondé technique et économique de cette opération, l’atterrissage de l’ancien P.D.G. d’Air France à Beyrouth en pleine discussion sur la restructuration de la compagnie libanaise, dans la foulée de sa démission après un mouvement de grève consécutif à un débat similaire dans son entreprise, a constitué incontestablement une erreur psychologique d’autant plus grave qu’elle s’est doublée du parachutage à ses côtés d’un autre proche du président français, M. Jean Eudes Rabut, ancien chef de cabinet de Jacques Chirac à la Mairie de Paris, également recyclé à Beyrouth pour la circonstance après ses déboires à la tête d’Air Charter.

Sauf à y voir la marque d’une cécité politique, le double parachutage à Beyrouth de ces deux personnalités françaises, -dont les forts émoluments dans une entreprise en difficulté a nécessité leur émargement sur le budget de la banque centrale libanaise-, a été ressenti sinon comme une provocation du moins comme la marque d’une indifférence à l’égard des préoccupations matérielles du personnel, fruit du «copinage» du Président français et de son ami libanais.

Présentant toutes les apparences d’une survivance coloniale, le parachutage en contre-emploi de M. Christian Blanc à Beyrouth a accentué la crispation du personnel devant des pratiques surannées et l’affaire Blanc Rabut a tendu à accréditer l’idée que M. Hariri et ses amis français envisageaient la MEA comme une voie de garage pour les anciennes gloires des ailes françaises, insensibles aux préoccupations du personnel devant sa précarité professionnelle, aux préoccupations des contribuables devant ces nouvelles charges indues et des passagers devant les nouveaux tarifs prohibitifs.

Concrétisation d’une association qui remonte à 1949, l’accord d’alliance MEA Air France est entré en vigueur depuis le 1er juin 1999,  vingt jours avant la signature d’un  contrat similaire entre la compagnie française et Delta Airlines, 3me transporteur aérien américain, le 22 juin 1999. S’inscrivant dans le prolongement de cet accord, la MEA filialisée paraît avoir servi de faire valoir à Air France. Elle aurait même constitué son apport au nouveau partenariat franco-américain. C’est du moins ainsi que l’opération a été perçue dans les milieux aéronautiques libanais. Disposant désormais d’un marché captif, le pool MEA Air France a inauguré sa coopération en instituant des prix dissuasifs sur la liaison Paris Beyrouth, trois fois supérieurs aux tarifs des autres compagnies aériennes, suscitant un tollé des passagers libanais et une pétition de vingt deux associations de la diaspora contre les pratiques abusives résultant d’une position dominante.

Pour prix de sa contribution à la mise en synergie Air France- Middle East, en fait la mise sous tutelle de la compagnie libanaise par sa rivale française, Christian Blanc sera gratifiée d’une étonnante promotion. Par un phénomène de serendipity, un heureux hasard, il sera désigné, au terme de sa mission à Beyrouth à la tête de la filiale européenne de Merril Lynch, l’ancienne entreprise de son interface libanais, le pourvoyeur de ses somptueuses dépenses, Riad Salameh, gouverneur de la Banque du Liban, l’ancien gestionnaire du portefeuille de Rafic Hariri à «Merril Lynch». Un effet de la mécanique des fluides entre les deux commensaux beyrouthins expliquerait partiellement la présence à New York, le 11 septembre 2001, de Christian Blanc, en sa qualité de chef de la filiale européenne de la société américaine de courtage en bourse. Entre fumeurs de cigares, la cause était entendue.

Sauf que Nicolas Sarkozy n’appartient pas à cette corporation, ni surtout à la coterie chiraquienne, et que la France, en 2010, en état de faillite, ne pouvait s’offrir le luxe de gratifier un de ses serviteurs, fut il le plus éminent, de la possibilité de laisser s’envoler en fumée, près de onze mille euros par an, pour le plaisir.

L’impunité du cigare de New York ne valait pas sauf conduit pour l’éternité. Une bonne conduite aurait certainement constitué un meilleur gage de pérennité.